Réforme des retraites : “Nous vivons une crise démocratique et la décision du Conseil constitutionnel n’y changera rien”, selon Pierre Ferracci
À la veille de la 12e journée d’action contre la réforme des retraites, et avant la décision du Conseil constitutionnel, Pierre Ferracci répond aux questions d’Isabelle Raymond sur France Info dans l’invité éco.
« Je pense que la décision du Conseil constitutionnel ne changera rien, quelle qu’elle soit. Le Conseil constitutionnel va dire le droit. Quelle que soit sa réponse, je pense que le Président de la République a intérêt à reprendre les choses en main, à mettre cette réforme de côté pour l’instant. On a des défis extrêmement importants, réindustrialiser le pays, plusieurs milliers d’emplois dans l’industrie sont aujourd’hui directement menacés par la crise énergétique, la hausse du prix de l’énergie. On a les enjeux de la transition environnementale. On a les enjeux de partage de la valeur, même s’il y a eu un accord entre les partenaires sociaux, il y a encore beaucoup de questions à traiter. Il y a la question du travail qui est au cœur des préoccupations. Et, puis, les questions d’éducation, de santé, de services publics qui doivent être traitées avec beaucoup de vigueur. »
« Aujourd’hui, le pays est fracturé, divisé. Reprendre la situation en main, cela veut dire traiter ces défis avec tous les moyens possibles, rassembler d’abord le pays. Moi, je pense qu’il faut refonder un pacte social aujourd’hui. Le Président de la République a eu une bonne idée en parlant de Conseil national de la refondation mais qu’est-ce qu’il en a fait depuis des mois ? Pas grand chose ! Il y a des Assises du travail qui ont démarré et qui ont fait un travail intéressant mais qui, pour l’instant, sont inaudibles. »
« Refonder un pacte social, c’est poser toutes les questions que je viens d’évoquer, remettre les partenaires sociaux autour de la table. Ils travaillent ensemble en ce moment. Remettre l’ensemble des partis politiques sur ces enjeux de refondation et refonder ce pacte social et, peut-être, à l’arrivée, faire un référendum, pas seulement sur les 64 ans ou sur les 62 ans, mais sur la nature de ce pacte social pour affronter les défis de demain. »
« Moi, je dirais “il n’est pas seulement en convalescence, le pays ! Il est très meurtri. Il est malade et il faut lui redonner du sang neuf.” Le rôle du Président de la République, c’est cela. Alors, pourquoi je dis qu’au final il faut peut-être qu’il y ait un référendum ? Et je reviens à la crise démocratique évoquée par Laurent Berger. Depuis 2005, il n’y a plus le moindre référendum en France, depuis dix-huit ans. Sur les dix premières années, du Général de Gaulle, il y en avait eu cinq, un tous les deux ans. Le référendum faisait partie des institutions sur des grands défis. Et le grand défi, ce n’est pas une réforme qui est une réformette, celle des retraites, qui ne va pas là où le Président de la République voulait d’ailleurs aller ! Et, en tout cas, pas là où l’opinion publique, les salariés, les actifs, les organisations syndicales veulent aller. Donc, il faut un chantier beaucoup plus profond, beaucoup plus lourd, beaucoup plus large et, à partir de là, après un débat approfondi avec les organisations syndicales, les organisations patronales et l’ensemble des partis politiques, peut-être mettre ce pacte social comme un enjeu de référendum ? Là, oui, ce serait une façon d’aller de l’avant et de ne pas mobiliser le pays sur des choses qui n’ont pas l’importance qu’on veut bien leur donner. »
« Dans tous les défis que l’on a à relever, la question du télétravail est essentielle et il faudra la traiter. Et dans toutes ses dimensions, pas simplement en termes de plein-emploi, en termes de rapport au travail, de valeur du travail. De la même façon, il faudra traiter de la question de l’immigration, pas pour aller au-devant de certaines thèses extrémistes qui désignent l’immigré comme le responsable de tout, mais en sachant que l’immigration est nécessaire pour la croissance économique, mais qu’il faut, en même temps, la réguler, éviter qu’elle s’accompagne de développement de valeurs qui ne sont pas les valeurs de la République. Tous ces sujets là, cela nécessite une pause, plus qu’une pause, et, surtout, tourner la société vers les enjeux qui sont les siens. Aujourd’hui, depuis des mois, on a mobilisé la société sur la question de la réforme des retraites – il y aura demain une manifestation encore importante, c’est la 12e manifestation importante. Avec le pouvoir d’achat très amenuisé par l’inflation et la hausse des prix, qu’il y ait moins de monde, cela n’étonnera personne ! -. Au-delà, il faut mobiliser la société sur tous ces enjeux extrêmement lourds et qui vont nécessiter des choix délicats pour l’Exécutif et, aussi, pour le Parlement. »
« Refonder un pacte social dans toutes ses dimensions, puisque l’on fait référence à la Résistance et à l’après-Guerre, regarder un petit peu ce qu’il faut bouger dans notre modèle social, le faire bouger. Cela ne veut pas dire revenir sur ses acquis. mais l’adapter à la transition environnementale, à la nécessité de réindustrialiser notre pays, de développer aussi des alternatives énergétiques à côté de l’énergie nucléaire. A partir de là, il y a peut-être un ensemble de mesures qui peuvent faire l’objet d’une demande de quitus de la part du Gouvernement. Cela sera autre chose que solliciter le pays ou, plutôt, ne pas le solliciter, ne pas l’écouter, ne pas écouter le Parlement, ne pas écouter les organisations syndicales sur la réforme des retraites. […]. Je crois que le Président de la République peut reprendre la main, mettre tout le monde autour de la table et rediscuter de toutes ces questions importantes et pas seulement de cette histoire de l’âge légal pour le départ à la retraite. »
Cliquez ICI pour écouter l’intégralité de l’interview. Merci à la rédaction de France Info et de l’invité éco pour leur autorisation de diffusion.
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