“Entreprises, passer de l’individualisme à l’intérêt général”"Entreprises, passer de l’individualisme à l’intérêt général" aux Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, avec Pierre Ferracci

Session 35 du 2e jour des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, samedi 6 juillet 2024. Avec Sophie Chassat, Céline Brucker, Pierre Ferracci, Stéphane Dedeyan et Maya Noël. Un débat coordonné par Nathalie Chusseau et modéré par Vincent Giret.

Pour Pierre Ferracci,

“On voit bien aujourd’hui, avec l’approche des enjeux environnementaux, mais aussi avec le traitement des questions sociales qu’une entreprise, c’est d’abord un lieu de parties prenantes qui n’ont pas tout à fait les mêmes intérêts, où doivent converger les intérêts des uns et des autres. L’entreprise est un lieu où s’établissent des compromis, apparemment plus facilement que dans le domaine politique. C’est un lieu où la négociation collective a du sens, c’est-à-dire que, quand il faut articuler – ce qui n’est pas le plus facile – des enjeux environnementaux – il faut protéger la planète mieux que l’on ne l’a fait depuis trente ou cinquante ans -, la transition sociale qui doit accompagner ces enjeux environnementaux mais aussi l’arrivée de l’IA, il faut qu’on ne laisse personne au bord de la route – et on en laisse beaucoup aujourd’hui -, il faut avoir la lucidité de penser que la transition environnementale aujourd’hui crée des inégalités supplémentaires au niveau de la planète et, parfois, au niveau de la société. Et, puis, il y a des enjeux économiques car tout cela va coûter très cher et il faut que l’économie se porte bien. Donc, le profit n’est pas tabou, mais il faut savoir à quoi il va servir !”

"Entreprises, passer de l’individualisme à l’intérêt général" aux Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, avec Pierre Ferracci“Alors, en quoi l’entreprise peut être utile aux politiques pour essayer de mieux faire coïncider l’intérêt général et l’intérêt de ceux qui font la société ? Moi, je verrais trois ou quatre éléments. D’abord, en termes d’articulation d’enjeux un peu contradictoires, la capacité à gérer des compromis est une force de l’entreprise. […]. Un chef d’entreprise doit allier cette forme de verticalité – il y a une hiérarchie, il faut de temps en temps donner un cap et, parfois, l’imposer même quand il ne fait pas consensus – mais il y a aussi une gouvernance un peu plus horizontale, et c’est le deuxième point. Je pense que les entreprises peuvent montrer aujourd’hui que la gouvernance doit être partagée. Il y a des pays où la démocratie sociale pèsent plus lourd que chez nous. […]. Quel est le périmètre des partenaires sociaux, dans l’entreprise ou en dehors de l’entreprise, dans les branches ou dans l’interprofessionnalité ? Je pense qu’il y a un peu de chemin à faire sur ce point. Et bien, un chef d’entreprise, qui fait bien son boulot, il respecte les partenaires sociaux, il respecte les organisations syndicales, il respecte le paritarisme, il respecte cette forme de dialogue social qui débouche sur des compromis intelligents. Ce n’est pas toujours facile. […]. Sur le terrain de la gouvernance, je pense que l’entreprise peut montrer le chemin.”

“Il y a un troisième élément où l’entreprise peut montrer le chemin, c’est le partage de la valeur. Moi, je pense que la mère de toutes les batailles, au niveau de la planète, c’est la lutte contre la pauvreté et toutes les inégalités et que l’économie et la protection de la planète doivent être au service de cela. Là-dessus, le partage de la valeur se fait beaucoup dans l’entreprise. […]. Mais partager la valeur, ce n’est pas seulement la partager dans l’entreprise, c’est aussi la partager avec ceux qui, en dehors de l’entreprise, sont en difficulté, ont mal été servis par l’Education nationale, ont mal servis par la formation professionnelle. Et, moi, je pense que l’entreprise peut rattraper des coups de ce type. J’en profite d’ailleurs pour dire que le Groupe Alpha apportera 25 % de son capital à une Fondation l’an prochain et cette Fondation s’intéressera aux inégalités sur le terrain de l’éducation et, notamment, celle des tout-petits parce que c’est là que se créent les handicaps que l’on a du mal, ensuite, à rattraper tout au long de la vie.” "Entreprises, passer de l’individualisme à l’intérêt général" aux Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, avec Pierre Ferracci

“Et, puis, il y a un autre élément sur lequel je pense que l’entreprise a un rôle à jouer. […]. La question de l’identité est centrale au niveau des entreprises, de la société, des politiques. Je regrette que cette question, profonde, soit accaparée comme elle l’est aujourd’hui. […]. L’identité, c’est le regard que l’on porte sur l’immigration – on en a besoin pour développer l’économie -, c’est le regard que l’on porte sur les inégalités – l’entreprise doit jouer un rôle clé là-dessus -, c’est une façon de faire démocratie dans une entreprise, d’avoir une gouvernance plus partagée. Donc, l’identité d’une entreprise doit aller aussi dans le sens de l’intérêt général sans oublier les parties prenantes que sont les salariés, les actionnaires, les clients. Pour que chacun s’y retrouve, il ne faut pas nier que les intérêts sont parfois divergents et avoir cette capacité à établir des compromis puissants qui font que l’entreprise continue à avancer, à croître intelligemment en tenant compte des enjeux de la planète aujourd’hui, mais à croître quand même car le financement de tout cela, et cela va coûter cher, cela nécessite que l’on ait une économie puissante.”

“Enfin, dernier élément, les terrains de décision sont très nombreux – l’Etat, l’Europe… – et cela rend les choses très compliquées. J’aimerais que l’Europe soit plus sociale. Le triptyque ‘économique – social – environnemental’, c’est l’affaire de tous les lieux de décision et je pense que l’enjeu social doit être la clé de tout. L’économie et la protection de la planète doivent permettre aux gens, demain, de mieux vivre.”

"Entreprises, passer de l’individualisme à l’intérêt général" aux Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, avec Pierre Ferracci“La gouvernance, c’est deux choses. C’est, un, le débat sur le terrain avec les salariés, pris en compte par le management et, cela, si l’individualisation est synonyme d’autonomie dans le travail, c’est une bonne chose. Je pense que le travail prescrit qui descend d’en haut, cela a beaucoup de limites. Donc, premièrement, il faut écouter beaucoup plus les salariés et favoriser leurs initiatives. Et, deuxièmement, dans la gouvernance des entreprises, il faut plus les associer aux grandes décisions qui sont prises au niveau des conseils d’administration et de surveillance.”

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