D’une conférence sociale à l’autre : quelle réalisation de la feuille de route de 2012 ?

La feuille de route est un programme de travail proposé par le gouvernement, et accepté par le patronat et les syndicats, définissant, pour chaque sujet traité lors de la première Conférence sociale, la problématique, le calendrier retenu et la méthode suivie (consultation, concertation, négociation paritaire ou tripartite, évaluation, point d’étape, projet de loi, diagnostic, etc. : pour plus de précisions, cf. “Vers un nouveau pacte social“, Note du CEP, janvier 2013). Il apparaît que l’ensemble des sujets a été traité de façon inégale.

Emploi

Le principal sujet, celui de l’emploi, a fait l’objet d’une attention particulière. La quasi-totalité des thèmes se sont traduits par des mesures concrètes : instauration des emplois d’avenir, refonte du dispositif de chômage partiel, conférence sur la lutte contre la pauvreté, négociation puis loi portant création des contrats de génération, négociation puis loi sur la sécurisation de l’emploi. Seule la négociation relative à l’accès à l’emploi et à la formation professionnelle des travailleurs handicapés qui devait avoir lieu au premier semestre 2013 reste pour l’instant lettre morte. Pour le reste, il s’agit de points d’étape (concernant les accords nationaux interprofessionnels – ANI – sur l’emploi des jeunes de 2011) ou d’évaluation (concernant l’accord de modernisation du marché du travail de 2008) ayant un degré d’urgence moins important et qui ont pu être retardés en raison de la place centrale dans le débat social occupée par l’ANI sur la sécurisation de l’emploi au cours des derniers mois. Signe de cette importance, cet ANI touche à plusieurs thématiques autres que celles relatives à l’emploi (assurance chômage, compte individuel de formation), et dont certaines étaient jusque-là laissées en jachère (instances représentatives du personnel, place des salariés dans les instances de gouvernance des entreprises).

Dialogue social

L’ANI sur la sécurisation de l’emploi est susceptible d’entraîner une évolution du dialogue social dans les entreprises. En revanche, les éléments relevant du dialogue social prévus dans la feuille de route 2012 sont restés à l’état de projet. Quelle que soit la méthode prévue, la rationalisation des négociations obligatoires dans les entreprises, la transparence financière des comités d’entreprise, la reconnaissance des parcours militants et des mandats professionnels, la représentativité patronale, la transparence des financements des organisations syndicales et patronales ont pour l’instant été laissées de côté. La constitutionnalisation du dialogue social tarde à voir le jour. Quant à la négociation sur la modernisation du dialogue social, elle reste suspendue depuis mars 2012.

Rémunérations

L’autre sujet remarqué pour son absence dans la politique sociale du gouvernement compte tenu des engagements de la feuille de route de juillet 2012 est celui des rémunérations. Excepté la modification de la formule de calcul du Smic, rien, ou plutôt le contraire de ce qui avait été annoncé, n’a été fait sur ce sujet : la prime dividendes qui devait être supprimée est toujours en vigueur ; le projet de loi sur les rémunérations abusives des dirigeants prévu fin 2012, réaffirmé en janvier 2013, a été abandonné en mai, le gouvernement ayant préféré laisser les entreprises s’autoréguler, ce qui a débouché sur la refonte du code de gouvernance Afep-Medef, rendue publique le 17 juin ; les mesures législatives annoncées pour éviter que les allègements de cotisations sociales sur les bas salaires ne conduisent à l’inertie des négociations de branche n’ont pas été prises ; le Copiesas (Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié) n’a pas été installé ; et la négociation sur l’épargne salariale n’est toujours pas à l’ordre du jour. Une grande confusion règne sur cette question après l’annonce d’une nouvelle loi sur le déblocage exceptionnel de l’épargne salariale et à un arrêt du Conseil d’État (arrêt du 20 mars 2013 n°347633) modifiant la base de calcul de la participation, dont l’application devrait être rétroactive.

Politique industrielle

Concernant la politique industrielle, le redressement productif s’est limité à la remise du rapport Gallois, puis à l’adoption du Pacte de compétitivité, dont la principale mesure est l’instauration du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), une mesure plus conjoncturelle que structurelle. La Conférence nationale de l’Industrie a été transformée en Conseil national de l’Industrie avec des attributions élargies. La Banque publique d’investissement (BPI), créée à partir de plusieurs entités existantes (Oséo, Fonds stratégique d’investissement, CDC Entreprise), a été lancée en 2013, mais le principe avait été acté sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et ses orientations stratégiques peinent à émerger.

Au menu de la 2ème conférence sociale

La deuxième Conférence sociale prévoit six tables rondes : emploi-formation, conditions de travail et santé au travail, filières et emplois d’avenir, retraites et protection sociale, services publics, Europe sociale. Deux thèmes apparaissent comme prépondérants dans la mesure où des réformes sont déjà prévues : les retraites et la formation. Les différentes étapes dans l’élaboration de la réforme des retraites sont conformes à la première feuille de route. En revanche, la réforme du financement de la protection sociale, prévue en 2013, semble compromise. Son calendrier et son contenu dépendront de la réforme des retraites, d’autant plus qu’il s’agit d’un sujet sensible. Les membres du Haut Conseil du financement de la protection sociale n’ont en effet pu se mettre d’accord pour rédiger un avis commun sur le rapport d’étape sur la clarification et la diversification du financement des régimes de protection sociale. Concernant la formation, la réforme devra notamment préciser les modalités de mise en œuvre du compte personnel de formation, mis en place par l’ANI sur la sécurisation de l’emploi.
Le fait que le thème de l’Europe sociale, bien qu’il s’agisse d’un sujet important, fasse l’objet d’une table ronde est surprenant dans la mesure où la France ne décide pas seule des politiques sociales de l’UE – quand bien même sa position serait unanimement partagée par les acteurs sociaux. Qui plus est, certains sujets relevant des politiques sociales de l’UE font l’objet de tables-rondes spécifiques (emploi, retraites, etc.).
D’autres questions se posent : la disparition des rémunérations au programme de la deuxième Conférence sociale signifie-t-elle que les orientations de la première feuille de route sur ce sujet sont abandonnées ? À l’inverse, la table ronde sur les conditions de travail et la santé au travail sera-t-elle l’occasion de relancer les thèmes non traités de la première feuille de route sociale (négociation sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail, enlisée alors qu’elle dure depuis septembre 2012, prévention de la pénibilité) ?
Quant à l’emploi, il a été ajouté in extremis dans la table ronde sur la formation, ce qui a pu donner l’impression que le gouvernement ne prévoyait pas de nouvel « outil » dans sa boîte. Dans l’hypothèse où la courbe du chômage ne s’inverse pas d’ici la fin de l’année, on peut alors se demander à quels nouveaux instruments le gouvernement entend-il recourir. D’autant qu’à la veille de la deuxième Conférence sociale, le contexte social n’est plus le même qu’il y a un an. L’ANI sur la sécurisation de l’emploi a provoqué un repositionnement entre les organisations syndicales signataires (CFDT, CFE-CGC et CFTC) et non signataires (CGT et FO), puis entre les syndicats, le patronat et le gouvernement.

Le tableau de suivi de la feuille de route sociale 2012

La feuille de route sociale 2012-2013 reprise sous la forme d’un tableau synoptique présentant par thème l’état d’avancement des réalisations.

Tableau de suivi de la feuille de route sociale 2012 D'une conférence sociale à l'autre : quelle réalisation de la feuille de route de 2012 ?

Claire Blondet et Antoine Rémond