Ce que la RSE dit de la politique
Travail et RSE, une évidence
En organisant dans l’immédiateté de l’élection présidentielle une conférence sociale en juin 2012, le Gouvernement conférait au travail et à l’emploi caractère prioritaires. La RSE était ainsi inscrite au programme de la première conférence sociale. Nous pouvions alors nous féliciter qu’un lien évident soit établi entre RSE, champ social et Ministère du Travail. Cette évidence inscrivait l’action publique en rupture avec les pratiques précédentes par lesquelles la RSE était très souvent la chasse gardée du Ministère de l’Ecologie. En matière de RSE, le Ministère du Travail semblait tenu à l’écart. Ainsi, ce fut celui de l’Ecologie qui initia et pilota dans le cadre de l’Afnor un projet sur « les conditions sociales de production ». Aujourd’hui, le Ministère de l’Ecologie semble avoir perdu son monopole (de fait ?) sur le développement durable et la RSE. Plusieurs exemples l’illustrent : une dizaine de ministères ont reçu leur feuille de route sur la transition écologique et l’attelage gouvernemental sur la RSE, bien que chaotique, semble fixé: interministériel, réunissant le Ministère du Travail, celui de l’Economie et des Finances, celui du Commerce extérieur et celui de l’Ecologie, parfois celui du Développement. L’interministérialité ne renseigne évidemment pas sur le poids relatif de chacun des ministères lors des arbitrages gouvernementaux…
Vers des normes souveraines sur la RSE ?
Le fait que l’Etat n’est pas un monopole sur la régulation des sphères sociales, environnementales et écologiques n’est pas en soi scandaleux. Mais en matière de RSE, tout se passe très souvent comme si les pouvoirs publics renonçaient à traduire leurs engagements dans la réglementation et déléguaient à la normalisation privée le soin d’élaborer la « norme ». Lors de la précédente mandature présidentielle, l’Afnor semblait fréquemment bénéficier d’une délégation gouvernementale pour organiser le débat sur la RSE (travail sus mentionné sur les conditions sociales de production mais aussi travail sur la vérification des informations non financières…). Le gouvernement actuel semble reconsidérer sa position par rapport à cet organisme parapublic. Ainsi, le Ministère de l’Ecologie « confirme son intérêt pour une méthode de vérification du reporting social et environnemental mais n’est pas en mesure de renouveler sa commande à l’Afnor pour prendre en charge la réalisation de ces travaux. » Ce message soulève plusieurs questions : est-ce simplement une des conséquences indirectes de la diminution du budget du Ministère de l’Ecologie et une réallocation des moyens vers des sujets ministériels jugés davantage prioritaires ? Cela est alors inquiétant car avec la vérification c’est la crédibilité de la RSE, toujours sujette à caution, qui est en jeu. Ou le Gouvernement a-t-il décidé par principe que ce n’était pas aux contribuables de payer des travaux pilotés très souvent par les entreprises et dont le fruit est la production de normes payantes ? Ou, le Gouvernement français entend-il réaffirmer sa souveraineté dans la définition de « normes » qui au fil des ans régulent l’ordre public ? Nous n’avons pas de réponse à ces questions. Mais il serait opportun que sur la RSE comme sur d’autres sujets, les pouvoirs publics cessent de confier à des acteurs privés le soin d’élaborer des normes qui au fil du temps se substituent aux normes souveraines nationales ou internationales sans pour autant produire les mêmes effets en termes de régulation. Ainsi, depuis les années 90, il existe des lignes directrices privées – Global Reporting Initiative- pour rédiger des rapports développement durable. Or à quelques rares exceptions, les entreprises françaises ne les utilisaient pas. Sans la loi NRE, elles n’auraient pas publié des informations sur les conséquences sociales et environnementales de leurs activités.
RSE et compétitivité : fin ou moyen?
Après de longs atermoiements sur sa composition, son rattachement, sa mission, le Gouvernement, conformément à son engagement lors de la conférence environnementale de septembre 2012, a mis en place une plate-forme sur la RSE dont la finalité est, selon un communiqué de presse de Matignon du 17 juin 2013 « d’établir un lieu de dialogue et de concertation pour engager un développement ambitieux de la RSE ». Celle-ci est rattachée au Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) et qualifiée par son président d’organe consultatif. La création de cette plate-forme en juin 2013 permet au gouvernement français de se conformer aux attentes de la Commission européenne qui, dans sa communication d’octobre 2011 sur la RSE, encourage les Etats à créer des lieux d’échange sur la RSE et à combler son fâcheux retard sur de nombreux pays européens qui disposaient déjà d’une telle instance. « Fâcheux retard » car les gouvernements français qui se sont succédé depuis les années 2000 mettent en avant le rôle précurseur de la France en matière d’avancées sur la RSE. Bien avant que l’Union européenne ou les instances comptables privées (IASB, IFRS…) ne songent à rendre obligatoire la publication d’informations non financières, le gouvernement Jospin l’avait fait suite aux scandales financiers et éthiques aux Etats-Unis. Aujourd’hui, les causes de la crise et son ampleur sont différentes mais la RSE est toujours considérée comme un moyen et pas comme une fin: « La RSE participe à la politique économique et sociale du gouvernement et contribue à la compétitivité des entreprises à l’export ainsi qu’au développement des pays tiers ». Si la RSE est appréhendée comme un moyen de parvenir à la compétitivité et si la compétitivité des entreprises françaises devient une fin en soi, que peuvent espérer les victimes, ici ou ailleurs, des violations des droits humains par certaines entreprises, françaises ou non ?
Sous son jargon jargonnant, la RSE soulève quelques-unes des grandes interrogations politiques du moment…
Natacha Seguin