Quelle place pour la protection sociale professionnelle volontaire en Europe ?
Le projet ProWelfare mené par l’Observatoire social européen et la Confédération européenne des syndicats en collaboration avec huit partenaires européens, a pour objectif de dresser l’état des lieux des dispositifs de protection sociale professionnelle volontaire (voluntary occupational welfare) et de s’interroger sur les implications pour le dialogue social. La définition de la protection sociale professionnelle volontaire qui a été adoptée englobe les prestations sociales fournies par les partenaires sociaux ou par les employeurs seuls (y compris par l’Etat dans son rôle d’employeur), qui ne relèvent pas d’une obligation légale et perçues par les employés grâce à leur statut de salariés. Le projet porte sur les prestations sociales dans les domaines de la santé, l’équilibre travail/famille, la formation continue et les retraites. Trois secteurs, industrie manufacturière (automobile et industrie agroalimentaire), services publics et services privés (banques et commerce de détail) dans huit pays (le Royaume Uni, la Suède, la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, l’Espagne et la Pologne) ont été étudiés. La conférence finale, qui a eu lieu le 5 décembre 2013 à Bruxelles, a donné lieu à des discussions sur les avantages de ces dispositifs mais aussi sur les risques liés à leur diffusion.
Des dispositifs minoritaires mais qui existent dans des contextes institutionnels très variés
Une base de données de l’OCDE (SOCX) permet de situer la protection sociale professionnelle volontaire (hors formation professionnelle) par rapport à la protection sociale publique et privée obligatoire. Dans les huit pays étudiés par le projet ProWelfare, la protection professionnelle volontaire est largement minoritaire, en moyenne 6,7% des dépenses totales. Les variations entre pays sont significatives : de 0,2% en Pologne à 8,5% en Suède, la Grande Bretagne se détachant avec 17,5% des dépenses totales de protection sociale en 2009. Avec près de 8%, la question de la place de la protection sociale professionnelle volontaire paraît pertinente pour la France également. Aucune tendance commune dans l’évolution de l’importance de ces dispositifs n’est observée. Cette situation semble correspondre au fait que malgré une vision globalement positive de la protection sociale professionnelle volontaire, la question semble secondaire pour les partenaires sociaux.
Le niveau moyen de la protection sociale professionnelle volontaire dans un pays renseigne peu sur son importance dans un secteur ou pour un risque social donné : la part des salariés concernés est variable. Toutefois, la couverture est substantielle dans chaque pays (couvre au moins 20% de l’ensemble des salariés) pour au moins un des risques sociaux étudiés dans le cadre du projet. Ces dispositifs reposent sur des structures du dialogue social variées et sont gérés à des niveaux différents (entreprise, sectoriel, national). Leur présence dans tous les pays étudiés indique que ce type de protection sociale peut prendre une place significative dans des contextes institutionnels très différents.
La protection sociale professionnelle et volontaire : un choix potentiellement gagnant-gagnant pour les salariés et pour les partenaires sociaux…
Ce type de dispositifs permet d’améliorer, parfois de façon significative, la couverture des salariés face aux risques sociaux comparativement à la seule protection sociale obligatoire. Pour les syndicats, la protection sociale professionnelle volontaire est un moyen d’améliorer les conditions de travail des salariés mais parfois aussi, selon la nature des prestations et de la couverture proposée, de leurs familles. La formation professionnelle permet de renforcer les compétences des salariés et d’améliorer leur employabilité. Par ailleurs, ces dispositifs peuvent renforcer les liens entre les syndicats et leurs membres voire, dans certains cas, encourager l’adhésion aux syndicats. Pour les employeurs, la mise en place de ces prestations volontaires présente également des avantages. Elles peuvent contribuer à la satisfaction et à la loyauté des salariés, à l’amélioration de leur productivité mais aussi permettre de limiter la hausse des coûts salariaux en substituant les prestations sociales volontaires aux hausses salariales. Enfin, lorsque la protection sociale volontaire est gérée conjointement par les partenaires sociaux, elle peut renforcer le dialogue social. Les interactions continues autour de ces dispositifs peuvent faciliter les négociations et l’implication des syndicats dans d’autres aspects de la gestion des entreprises : gestion prévisionnelle des ressources humaines, temps de travail flexible.
Dans un contexte où les difficultés économiques et les contraintes financières entraînent le recul des prestations des systèmes de protection sociale obligatoires, la mise en place de prestations sociales volontaires peut pallier, du moins temporairement, les réductions de la protection proposée par le système obligatoire. Ainsi, elles pourraient être vues comme un choix de second rang mais toutefois bien meilleur que l’assurance individuelle des travailleurs.
… mais certaines questions se posent pour les syndicats
Malgré ces avantages, plusieurs points ont été soulevés lors de la conférence : à quel type de risques ces prestations sont-elles adaptées (toute formation dans l’entreprise n’améliore pas l’employabilité) ? Quelle efficacité par rapport aux systèmes obligatoires ? Comment gérer les fonds constitués et quelle place pour les marchés assurantiel et financier ? ; N’est-il pas délicat d’encourager la mise en place de dispositifs de protection sociale liés à l’emploi alors que beaucoup de personnes sont hors emploi ? Comment s’appliqueraient-ils aux travailleurs migrants ? Deux points ont particulièrement marqué les discussions.
D’abord, le positionnement des dispositifs volontaires par rapport au système obligatoire. Selon les résultats du projet ProWelfare, les niveaux de protection sociale obligatoire et volontaire ne présentent pas de lien d’interdépendance direct, les dispositifs volontaires jouant généralement un rôle de complément. Dans certains cas cependant une tendance à la substitution a été observée. Ainsi, dans un contexte économique difficile qui met à l’épreuve les systèmes de solidarité obligatoires, le risque serait de les voir progressivement s’affaiblir et être remplacés par les dispositifs volontaires. Un tel désengagement transférerait le poids et la responsabilité de l’assurance face aux risques sociaux vers les employeurs et/ou vers les syndicats. De plus, en cas de crise, un recul simultané de la protection sociale obligatoire et volontaire pourrait survenir.
Les dispositifs professionnels volontaires offrent des possibilités d’amélioration de la vie des salariés mais en même temps peuvent aussi être source d’affaiblissement du système commun en fragmentant les situations des salariés. La question de la dualisation des prestations sociales entre les différents groupes de travailleurs se pose. Une première différence dans l’accès aux prestations sociales apparaitrait entre les travailleurs salariés et les chômeurs. Des clivages pourraient aussi se former selon le type de contrat (CDD/CDI), selon la nature de l’emploi (cadre, travailleur qualifié ou travailleur manuel), selon la couverture par les conventions collectives, selon la taille de l’entreprise. Le projet ProWelfare met d’ailleurs en avant ce dernier point comme déterminant majeur de l’accès à la protection sociale professionnelle volontaire, ces dispositifs étant présents surtout dans les grandes entreprises. En ce sens, la participation des syndicats pourrait mettre en péril leur capacité à représenter l’ensemble des travailleurs et de défendre des droits universels. Les modalités souhaitables sont donc à définir avec précaution lors de la mise en place de dispositifs de protection sociale professionnelle volontaire.
Milena Gradeva