L’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013 : Un essai à transformer

En proposant un nouvel équilibre autour de la suppression de l’obligation de financement sur le plan de formation, en contrepartie du renforcement des obligations sur les actions que les entreprises ont moins naturellement tendance à financer, la réforme introduit une évolution majeure. Elle invite à sortir d’une approche gestionnaire, administrative pour basculer dans une approche stratégique : penser la construction de la politique de formation et, donc, du plan de formation, comme un outil au service de la stratégie de l’entreprise, de sa GPEC, de l’individualisation et de la sécurisation des parcours. Les ambitions affichées peuvent se résumer ainsi :

– consacrer plus d’effort et plus de temps à la gestion des compétences en libérant du temps et de l’énergie sur la gestion administrative ;

–  mieux flécher les actions de formation vers les publics aujourd’hui non bénéficiaires en inversant la tendance actuelle qui conduit à « arroser là où c’est déjà mouillé ».

Derrière cette redéfinition en profondeur de notre système de formation, encore faut-il que les évolutions qui en découleront soient à la hauteur des ambitions affichées. Or, si la réforme veut atteindre son but et corriger les défauts actuels de notre système, il y a plusieurs conditions à réunir (quatre, sans souci d’exhaustivité). Ce ne sont pas seulement des conditions techniques et elles relèvent, selon nous, du débat parlementaire. En effet, si les négociateurs ont fixé les axes clés et les principes de mise en œuvre, il reste à en assurer l’opérationnalité, car repenser intégralement un système conçu il y a quarante ans ne saurait se faire à travers quelques réunions de négociation. Les parlementaires pourraient donc compléter l’édifice, tout en préservant les équilibres de la négociation.

Concrétiser l’obligation de faire

Si l’accord renforce les garanties individuelles, avec la création d’un compte personnel de formation (CFP), la création d’un droit à un conseil en évolution professionnelle et l’encadrement nouveau de l’entretien professionnel, les garanties collectives permettant de s’assurer que l’employeur, conformément à l’article L. 6321-1 du code du travail, veille à l’adaptation des salariés à leur poste de travail et au maintien de leur capacité à occuper un emploi n’ont, elles, pas été redéfinies. Demain, comme hier, en cas de défaillance, la sanction n’intervient qu’à l’occasion du contentieux du licenciement. Or, le corollaire de la liberté donnée à l’entreprise sur le plan de formation (et de la suppression de l’obligation fiscale du 0,9 %) doit être l’instauration de nouvelles garanties collectives, permettant de s’assurer du respect de cette obligation autrement que par le contrôle de la dépense. A défaut, il existe un risque de transfert de la responsabilité de l’entreprise vers l’individu ou vers les mécanismes de garantie sociale, et notamment l’Assurance-Chômage.  

L’obligation d’adaptation à la charge de l’employeur pourrait, selon nous, se traduire par la réalisation, à échéance régulière (triennale comme la négociation GPEC ?), d’un diagnostic sur les évolutions de l’entreprise et sur les compétences détenues, s’appuyant sur le bilan des nouveaux entretiens professionnels. A la suite de cette évaluation, l’employeur devrait mettre en œuvre des actions de prévention ainsi qu’un plan d’action de développement des compétences des salariés, transcrit dans un document unique. Cette obligation pourrait faire l’objet de sanctions en cas de non réalisation de ces documents, sanction financière, par exemple, avec de nouveaux abondements du CPF, et sanction pénale, pour délit d’entrave, en cas de non consultation du CE.

Elle serait à articuler avec la négociation collective redéfinie par l’ANI qui invite à lier GPEC, mobilité, CPF et objectifs du plan de formation. Même si l’ANI n’a pas fait du plan de formation un objet de la négociation, cette dernière doit être un lieu de construction d’approches réellement anticipatrices, permettant de définir les nouveaux indicateurs de l’investissement formation et les modalités d’abondement du CPF pour les salariés fragiles. Car, si le CPF n’ouvre pas de droits inversement proportionnels au salaire ou au niveau de formation initial, les mécanismes d’abondement retenus au niveau de l’entreprise devront s’inspirer de ce principe pour corriger les inégalités d’accès.

La mise en œuvre de ces nouvelles garanties collectives pose également la question des conditions d’accès à l’information par les représentants du personnel, car, pour s’assurer que l’obligation de faire est remplie, la place des IRP est déterminante. Cela suppose que les informations soient disponibles, accessibles et facilement appréhendables. Le fait d’être déposées dans la nouvelle base de données unique ne doit pas être considéré comme suffisant pour dégager l’employeur de ses obligations, comme le prévoit le décret récent et le législateur doit corriger le tir.

Reste enfin la question des petites entreprises qui ne sont pas dotées d’instances de dialogue social pour lesquelles il sera nécessaire de trouver un espace de garanties collectives. Faut-il, dans ces entreprises, envisager la communication du diagnostic et du plan d’action à l’ensemble des salariés, solliciter l’avis d’une commission paritaire qui puisse être saisie de son propre chef, sur sollicitation d’un salarié ou sur proposition de l’inspecteur du travail, au cours d’un contrôle en entreprise ? Faut-il prévoir l’intervention d’un conseiller de l’OPCA pour accompagner le chef d’entreprise dans sa réalisation ? Différentes options existent que le législateur serait avisé de prévoir.

Bien entendu, en contrepartie, le législateur ne doit pas réinventer des mécanismes de suivi administratif tournés vers une approche quantitative, mais faciliter une nouvelle approche faisant une large place aux logiques d’évaluation, de contrôle interne et d’indicateurs qualitatifs. Cette approche nouvelle conditionne aussi la réussite de cette réforme.

Flécher le Compte personnel de formation pour corriger les inégalités d’accès à la formation

Il s’agit là de garantir que le CPF va atteindre son but : corriger l’inégalité d’accès à la formation, donner une deuxième chance à ceux qui sont dépourvus d’un premier niveau de qualification et favoriser la progression d’un niveau de qualification au cours de la vie professionnelle. On connaît les défauts du DIF qui, outre le fait qu’il n’était pas financé, n’était pas non plus clairement défini. L’ANI marque en cela une évolution et affirme que le Compte vise une « ambition qualifiante ». Fort bien. Cela suppose toutefois de préciser ce que l’on entend par là. L’accord indique que « les formations éligibles sont obligatoirement des formations qualifiantes correspondant aux besoins de l’économie prévisible à court ou moyen terme et favorisent la sécurisation des parcours ». Une telle formulation ne manquera pas de donner lieu à interprétation, d’autant que le crédit d’heures maximal de 150 heures ne permet pas le financement d’une formation certifiante. Si les listes de formation éligibles font une large place aux logiques d’adaptation, alors la réforme n’aura pas modifié la donne. Il y a donc là un enjeu de clarification important, lors de l’étape législative, sur la notion de qualification et sur le périmètre des actions susceptibles d’être éligibles au titre du Compte personnel. Cela vaut également pour les demandeurs d’emploi ; pour qu’ils s’y retrouvent, les actions ne doivent pas être trop restrictives et doivent recouvrir celles aujourd’hui financées par les Régions et Pôle Emploi. A défaut, on aura maintenu les tuyaux d’orgue existants : listes définies par les partenaires sociaux pour les salariés, programmes de formation régionaux pour les demandeurs d’emploi, avec peu, ou pas, de passerelles entre les deux. Là encore, le législateur pourrait utilement clarifier les mécanismes envisagés.

Une gouvernance toujours en question

Cette réforme dispose d’un atout déterminant pour traiter ce sujet puisque le texte de loi englobe la transposition de l’ANI et les dispositions du nouvel Acte de décentralisation. Alors qu’en 2004, une loi de mai redéfinissait les règles en matière de formation des salariés et une loi d’août redéfinissait les compétences en matière de formation des demandeurs d’emploi, en 2014, la loi réunit ces deux dimensions. Il y a là une occasion unique pour mieux articuler les compétences et simplifier la gouvernance.

La première étape consiste, sans doute, à réduire les superpositions de compétences. Ainsi, n’est-il pas temps de confier à un seul acteur, la Région, qui réalise déjà l’essentiel des actions à destination de ces publics, la responsabilité de l’achat de formation collectif pour les demandeurs d’emploi ?

Ensuite, il est nécessaire de préciser les lieux de gouvernance, notamment en ce qui concerne le CPF. L’accord et le projet de loi prévoient, à ce stade, de définir comme pivot de la nouvelle gouvernance du CPF les comités paritaires de la formation professionnelle au niveau national interprofessionnel, au niveau des branches et au niveau régional. Si cette nouvelle mission, stratégique, s’il en est, sera de nature à dynamiser le fonctionnement de ces instances, cela soulève néanmoins des questionnements. La gouvernance du premier dispositif universel de notre système de formation peut-elle exclure les acteurs que sont les Régions ? N’y a-t-il pas un grand risque que les canaux de financement du CPF restent compartimentés et totalement cloisonnés ?

A l’inverse, la mise en place du CPF aurait pu fournir l’occasion d’instaurer, sinon des « conférences des financeurs » dont le terme est aujourd’hui galvaudé, du moins un cadre multipartenarial en Région pour examiner les demandes individuelles de formation non prises en charge dans le cadre des dispositifs collectifs existants. Le nouveau CREFOP (Comité Régional de l’Emploi, de la formation et de l’Orientation Professionnelle) pourrait devenir ce cadre multipartite de décisions sur des abondements complémentaires ou hors actions collectives dans l’optique de simplifier la recherche de solutions pour la personne et pour les conseillers en charge de l’appuyer dans son projet.  

Même s’il est regrettable qu’au travers d’un bilan partagé du FPSPP (Fonds Paritaire de Sécurisation des Parcours Professionnels), l’Etat et les partenaires sociaux n’aient pas mis sur les rails une vraie déclinaison régionale de ces dispositifs, la création du Compte est l’occasion rêvée de franchir un cap dans la gouvernance d’ensemble du système, qui légitime l’intervention du législateur. A défaut, on peut craindre que les ambitions d’augmenter le nombre de demandeurs d’emploi bénéficiaires de formation restent un vœu pieux en raison des cloisonnements et de logiques de prés carrés.   

L’offre de formation, éternelle oubliée

Enjeu crucial, s’il en est, cette question, pourtant annoncée comme un des axes de la future réforme, ne figure finalement pas du tout dans le projet de loi, sauf pour confier aux OPCA et aux OPACIF la mission de s’assurer de la qualité des formations dispensées. Cette question mérite sans aucun doute un traitement plus ambitieux ! S’il fallait absolument s’en convaincre, il suffit de se reporter aux quelques exemples de mise en place de Comptes individuels de formation dans d’autres pays qui témoignent tous de l’impérieuse nécessité de repenser les modalités de sélection des opérateurs et les mécanismes de référencement ou de labellisation de l’offre de formation. En Grande-Bretagne, le premier système mis en place par le gouvernement ne prévoyait pas de véritable contrôle des opérateurs de formation, ce qui explique en partie l’abandon de cette expérience à la suite de la découverte de nombreuses fraudes. La question de la qualité, des modalités de certification ou de labellisation de l’offre de formation, constitue, à n’en pas douter, une question clé pour la réussite du CPF et, de façon plus générale, pour la pertinence globale de notre système de formation. Parmi les options possibles, inspirées d’exemples voisins, figure celle d’une labellisation externe, en complément des évaluations par le marché lui-même ou par les opérateurs de formation. En France, la mise en place d’un système de certification par une autorité indépendante doit être mise en débat. Elle doit être envisagée par l’ensemble des acteurs car, sur ce sujet comme sur les autres, il ne saurait y avoir de véritable régulation sans cohésion et complémentarité des interventions de l’État, des Régions, des partenaires sociaux.

 

Ce n’est pas faire injure à la démocratie sociale que d’inciter la représentation nationale à compléter le travail des partenaires sociaux et l’ANI du 14 décembre 2013.

La profonde division patronale qui a marqué cette négociation n’a pas permis, malgré des avancées notables, de parvenir à un équilibre satisfaisant dans la période, délicate, de transition entre les anciens et les nouveaux dispositifs. Par ailleurs, la puissance publique, au niveau national comme au niveau régional, est suffisamment présente dans la gestion et l’animation du système pour que le législateur apporte, en toute légitimité, sa pierre à l’efficacité et à la réduction des inégalités.

Une approche plus souple des rapports que doivent entretenir la démocratie sociale et la démocratie politique s’impose lorsque l’intérêt général est à ce point concerné.

 

 

 

 


Carine Seiler et Pierre Ferracci