Réforme du financement de la formation : les partenaires sociaux lâchent-ils la proie pour l’ombre ?
Si la création du Compte Personnel de Formation (CPF) est présentée comme le principal enjeu de la nouvelle réforme de la formation professionnelle, la question de la remise à plat de son financement est tout aussi prégnante comme vient de le rappeler le projet d’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 14 décembre 2013.
Une obligation de financement contestée
Le financement de la formation professionnelle continue repose historiquement sur un principe de dépenses “libératoires”, selon lequel les employeurs sont tenus de verser une fraction de leur masse salariale à des Organismes Paritaires Collecteurs Agréés (OPCA) ou d’acquitter la somme auprès du Trésor Public. Les OPCA collectent ces fonds et procèdent au règlement des actions de formation que les entreprises engagent. Fixée à 1,6 % de la masse salariale, l’obligation légale renvoie à trois dispositifs dont les taux appliqués varient selon la taille des entreprises.
Dans l’ANI 2003, les partenaires sociaux s’interrogeaient déjà sur la pertinence de cette contribution et, depuis, plusieurs rapports parlementaires (Seillier, Larcher,…) ou issus de divers “think tank” (Institut Montaigne, Institut de l’Entreprise, Centre d’observation économique de la CCIP, Institut Thomas More, …) réclament régulièrement la suppression de ce dispositif de financement de la formation professionnelle.
L’un des arguments récurrent est que la part des dépenses consacrées par les entreprises à la formation professionnelle est, en moyenne, supérieure à l’obligation légale. En septembre encore, lors des “Entretiens de la cohésion sociale” organisés par l’Institut Montaigne à la veille de l’ouverture de la négociation sur la formation professionnelle, le Ministre du Travail , Michel Sapin estimait que les entreprises vont bien au-delà de l’obligation et qu’elles sont “spontanément” au niveau légal.
L’illusion de la moyenne ?
Comme la plupart des détracteurs de l’obligation légale, le ministre s’appuie sur les chiffres de l’annexe pour la formation professionnelle du Projet de loi de finances – le “jaune budgétaire”- qui effectivement affichent un taux de participation moyen de 2,73 % pour l’année 2011. Faisant écho aux attentes de l’Institut Montaigne et du MEDEF, il appelait à ce que le système “libère les initiatives” tout en garantissant le financement de la formation.
Cependant, la répartition des dépenses de formation par taille d’entreprise montre une réalité plus nuancée. Sur le graphique ci-dessous cette répartition apparaît comme étant trimodale. Les entreprises, selon leur importance, se polarisent en effet autour de 3 classes de taux de participation : [0,4% ; 1,20% [, [1,41% ; 1,60% [et [2,0% ; 3,0% [. Les deux premières concentrations renvoient aux différents niveaux de l’obligation légale selon la taille et concernent respectivement les entreprises de 10 à 19 salariés – 1,05% – et celles de 20 à 250 salariés – 1,6%. La troisième concentration concerne essentiellement des PME de 250 à 499 salariés – sans doute innovantes – et des entreprises de plus 500 salariés – dont la politique de formation est largement institutionnalisée. Au final, la majorité des entreprises se situe dans une fourchette proche du taux légal – 55,2% d’entre elles ont un taux compris entre 1,41% et moins de 2% – et ce sont les plus grosses qui contribuent à faire monter le taux de participation moyen.
Mais surtout, l’obligation légale ne résume pas à elle seule l’ensemble des contraintes pesant sur la politique de formation des entreprises. Comme le montre un rapport récent du Cabinet Sémaphores pour l’ex-Centre d’Analyse Stratégique, le plan de formation est encadré par tout un ensemble d’obligations qui se sont renforcées au fil du temps : obligation légale de financement mais aussi obligation d’assurer l’adaptation des salariés au poste de travail et à l’évolution de l’emploi, obligation de respect des dispositions des accords de branche, processus réglementaire de consultation des représentants des salariés, etc…. Il paraît donc illusoire de penser qu’en soi, la suppression de l’obligation légale redonnera l’initiative aux entreprises et permettra d’accroître l’efficacité moyenne des formations.
Le pari d’une plus grande efficacité des fonds consacrés à la formation
Le projet d’ANI du 14 décembre 2013 propose une refonte des mécanismes de financement de la formation professionnelle en supprimant l'”obligation légale” et en la remplaçant par une “contribution obligatoire” dont la nature juridique est encore largement indéterminée. A l’instar du précédent dispositif, son taux et son affectation varient selon la taille des entreprises.
Dans ce schéma, les entreprises de plus de 300 salariés n’ont plus – sauf accord de branche spécifique – d’obligation légale de financement du plan de formation. Celle-ci diminue fortement pour les entreprises de 10 à 299 salariés et reste inchangée pour celles de moins de 10 salariés.
Parallèlement, deux lignes de financement supplémentaires sont introduites :
- une pour le Fond Paritaire de Sécurisation des Parcours Professionnels (FPSPP) jusque-là financé par un prélèvement sur l’ensemble des sommes recueillies par les OPCA.
- une pour le Compte Personnel de Formation alors que le Droit Individuel de Formation (DIF), son prédécesseur, ne bénéficiait d’aucun versement affecté.
Au global, la contribution des entreprises de plus de 10 salariés à l’effort de formation diminue de 0,6 point. Mais le pari qui est fait est celui d’une plus grande efficacité à travers un ciblage des actions de formation sur les publics fragiles via le FPSPP et une responsabilisation des salariés dans l’accès à la formation grâce au CPF.
Les paradoxes d’une réforme
Alors même que la formation est présentée comme un enjeu de compétitivité pour les entreprises et un élément de sécurisation des parcours professionnels pour les salariés, cette réforme prend le risque d’une diminution des moyens qui lui sont consacrés. La polarisation des dépenses de la majorité des entreprises autour du taux de participation légal laisse à penser que sa diminution entraînera un ajustement à la baisse de leur part. Les DRH sont ainsi nombreux à souligner le caractère protecteur de l’obligation légale pour leur budget face aux exigences de réduction des dépenses des services de gestion, notamment en période de crise. Cet effet contracyclique apparaît également dans les analyses de la Dares décrivant, en 2009, une hausse des dépenses de formation dans un contexte de lutte contre la crise.
Par ailleurs, alors même que les TPE et les PME sont désignées depuis longtemps comme le maillon faible de la formation professionnelle – ce sont leurs salariés qui accèdent le moins aux dispositifs –, le nouveau schéma ne leur est pas particulièrement favorable. En effet, les grandes entreprises ne contribueront plus à la mutualisation des fonds dans le cadre du Plan de formation. Au-delà des enjeux de représentativité, c’est là une des sources du désaccord de la CGPME avec un texte porté initialement par le MEDEF.
Enfin, alors même que l’entreprise tend à devenir le niveau privilégié du dialogue social, à travers notamment le développement des accords de maintien dans l’emploi, la négociation du Plan de formation n’est toujours pas à l’ordre du jour. En effet, le texte du 14 décembre 2013 reprend, pour l’essentiel, les termes de l’ANI du 11 janvier 2013 et sa transposition dans la loi du 14 juin 2013 : la consultation du Comité d’Entreprise sur le Plan de formation demeure la règle et seules sont négociées dans le cadre des accords GPEC – c’est-à-dire pour les entreprises de plus de 300 salariés – “les grandes orientations à trois ans de la formation professionnelle“. L’article L2242-15 de la loi est uniquement modifié pour introduire dans cette négociation les modalités et les critères d’abondement du CPF par l’employeur.
Faute d’avoir substitué la négociation du Plan de formation à l’obligation légale, les partenaires sociaux n’ont-ils pas, en matière de financement de la formation professionnelle, lâché la proie pour l’ombre ?
Mathieu Malaquin