L’étude en cours du CESE sur l’évaluation des politiques publiques
Le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) a pour missions de « favoriser la collaboration des différentes catégories socio-professionnelles et assurer leur participation à la définition et à l’évaluation des politiques publiques ». Le 9 avril 2013, le bureau du CESE a chargé sa Délégation à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques de réaliser une étude visant à « promouvoir une culture d’évaluation des politiques publiques ». Cela s’inscrit dans un contexte de montée en charge de l’évaluation des politiques publiques (EPP) au niveau institutionnel en France (voir par exemple cette note du CEP et ce billet de blog). Elle fait également suite à la séance de travail organisée par le CESE sur l’EPP (présentation sur le site de la SFE) au CESE le 6 avril 2011.
La saisine du CESE sur l’évaluation des politiques publiques
L’étude conduite par le CESE s’articule autour des quatre axes de réflexion suivants :
- La culture et la pratique d’évaluation comme moyens d’améliorer les politiques publiques et le cas échéant de les corriger.
- L’examen des pratiques d’évaluation en France : qui fait l’évaluation, quand et comment ? Quelles difficultés? Quelle présence et quel impact de l’évaluation sur la décision publique?
- Un aperçu des exemples dans des pays européens et en Amérique du Nord.
- Rôles du CESE et CESER dans l’évaluation des politiques publiques.
Le 14 Mai 2013, un rapporteur, M. Nasser Mansouri-Guilani, a été désigné par la Délégation pour piloter le groupe de travail sur l’évaluation. Le 9 juillet 2013, a été présentée une liste prévisionnelle d’auditions, commençant en octobre 2013 et mobilisant différents d’experts de l’EPP en France. Le processus prendra fin d’ici quelques semaines avec une version finale du projet d’étude du CESE débattu par l’ensemble des membres, après la fin des auditions. La dernière étape consistera en un vote/avis final dont la date reste à définir.
Réflexions et avancement des travaux
Phase d’auditions des experts : un aperçu
Le groupe de travail du CESE sur l’évaluation est en phase d’auditions : une dizaine d’experts seront interviewés au final. Nous reproduisons ici certains passages des auditions dont certains extraits sont disponibles sur le site internet du CESE et qui soulignent d’importantes questions ou évolutions liées à l’EPP :
- Sur les évaluations menées en France :
« Le problème n’est pas tant dans la quantité des évaluations qui sont produites en France, il est plutôt dans la qualité : à la fois, d’un point de vue technique, les évaluations sont mal conçues et mal conduites, et par ailleurs, les évaluations font l’objet d’une ‘gouvernementalisation’, d’une politisation qui est très faible également. (…) une évaluation doit traiter d’au moins cinq aspects d’une politique publique : il faut s’intéresser aux objectifs de cette politique publique, aux moyens mis à disposition de cette politique pour se réaliser, il faut s’intéresser aux résultats, il faut s’intéresser aux effets, et être inscrit dans un contexte qu’il faut lui aussi examiner. (…) En France, très rares sont les évaluations qui traitent correctement et de façon coordonnée de ces cinq aspects. (…) En France, on est dans un exercice évaluatif qui souffre d’être conçu et conduit de façon assez officieuse entre experts (…) alors qu’il faudrait ouvrir le jeu évaluatif, impliquer davantage les parties prenantes des politiques publiques qu’on évalue » (Vincent Spenlehauer, chercheur à l’Ecole National des Ponts et Chaussées, 22 octobre 2013).
« L’évaluation des politiques publiques est fondamentale parce qu’elle est au socle du pacte de confiance entre les citoyens et leurs pouvoirs publics. La France manque d’une culture de l’évaluation et manque de transparence dans la conduite des politiques publiques ce qui explique la défiance des français vis-à-vis des partenaires publics » (Yann Algan, 10 février 2014).
- Sur les rapports entre recherche en évaluation et administration :
« En France, on a (…) une haute fonction publique qui tourne le dos au monde académique et à ses méthodologies, le contraire de ce qui se passe aux Etats-Unis, où les élites administratives et politiques sont formées à l’université, et donc ont une vraie familiarité avec les méthodes de recherche en sciences sociales » (Vincent Spenlehauer, audition du 22 octobre 2013).
- A propos du lien entre évaluation et réduction budgétaire (référence aux évaluations de la MAP ?) :
« Actuellement en France, on est dans une telle crise budgétaire que (…) on essaie d’utiliser l’évaluation des politiques publiques pour faire des économies budgétaires alors que ce n’est évidemment pas la fonction de l’évaluation. (…) Inscrire les exercices évaluatifs dans le cadre d’une procédure budgétaire qui est annuelle, c’est une erreur. En général, une bonne évaluation de politique publique, ça dure plus qu’un an. Et ça ne se pose pas que des questions d’économies budgétaires. » (Vincent Spenlehauer, audition du 22 octobre 2013)
- A propos de la valeur ajoutée du CESE en matière d’évaluation des politiques publiques :
« Il est nécessaire (…) d’avoir une oxygénation avec des chercheurs indépendants, mais ces chercheurs indépendants ont besoin de co-construire et de réfléchir avec la société civile à des indicateurs d’évaluation, à des indicateurs pluri-disciplinaires, à des indicateurs qui soient discutés avec l’ensemble des partenaires sociaux. Le CESE peut avoir ce rôle, justement, de fondement d’une culture d’évaluation qui soit partagée avec l’ensemble de la société civile » (Yann Algan, chercheur à Sciences Po, 10 février 2014).
- Sur le rôle de la Cour des Comptes en tant qu’évaluateur des politiques :
« La mission centrale est de contrôler le bon usage des deniers publics (…) la mission d’évaluation s’ajoute à cette mission fondamentale (…) le premier président de la Cour des Comptes considère que la Cour est à même de réaliser quatre ou cinq missions d’évaluation de politiques publiques par an (…) la Cour a fait le choix de ne pas créer de structure d’évaluation en son sein, ce sont donc les chambres sectorielles qui sont chargées des évaluations, mais elle a introduit un certain nombre de modifications dans ses processus de travail pour prendre en compte les spécificités d’une évaluation… il est (…) possible de créer un comité d’accompagnement qui associe des experts de méthode, des experts des domaines et des parties prenantes des politiques publiques évaluées (…) [qui] accompagne l’ensemble du processus d’évaluation. » (Françoise Bouygard, Conseiller maître à la Cour des Comptes, 26 novembre 2013).
Impulser une meilleure culture de l’évaluation ?
L’acquisition d’une culture de l’évaluation ne peut se décréter. Elle est le fruit de processus lents et longs de maturation, de montée en charge plus ou moins progressive et doit faire avec les particularismes locaux ou nationaux, mais aussi les acteurs ou tiers des politiques publiques qui sont évaluées. De par sa position institutionnelle, le CESE a des capacités pour influer sur la diffusion d’une culture de l’évaluation et pour l’orienter vers une voie qui soit fidèle à ses valeurs. Souhaitons que le Conseil puisse promouvoir et assurer une culture de l’évaluation qui soit participative (avec une implication des partenaires sociaux et de la société civile dans les processus d’évaluation) et qui favorise des évaluations de qualité (notamment en se rapprochant des standards académiques). De telles orientations participeraient sans doute de la vivacité du débat démocratique et de la vitalité du lien social.
Nicolas Fleury