Première enquête PIAAC : les compétences des adultes français en question

L’enquête PIAAC (Programme for the International Assessment of Adult Competencies) est une nouvelle enquête de l’OCDE (2011-2012) qui évalue les compétences des ‘adultes‘ (16-64 ans) pour les pays de l’OCDE et ses partenaires. Elle est donc complémentaire de l’enquête PISA mesurant les compétences des jeunes de 15 ans. Trois domaines de compétences sont définis et considérés dans l’enquête, les principaux étant littératie (capacité de comprendre et de réagir de façon appropriée aux textes écrits), numératie (capacité d’utiliser des concepts numériques et mathématiques). La compétence résolution de problèmes dans des environnements à forte composante technologique n’est testée que dans certains pays (et pas France), et pour les individus dont le niveau de compétence informatique leur permet d’effectuer l’ensemble du test sur support informatique (et non au format papier).

 

Des limites à l’enquête PIAAC

Tout comme pour PISA, une part importante de PIAAC consiste en un benchmark ‘international’ des résultats aux tests obtenus sur chaque domaine de compétence pour la population définie, ainsi que sur la répartition de ces résultats selon différents groupes socio-démographiques. Nous nous bornerons dans ce billet à présenter les résultats pour la France et ferons donc l’impasse sur les comparaisons internationales. Comme pour PISA, celles-ci portent à notre sens de sérieuses limites. En effet, malgré l’expérience accumulée en termes d’enquête internationale de mesure de compétences (IALS, PISA), l’homogénéité qualitative des résultats entre pays (OCDE et pays partenaires) n’est pas nécessairement pleinement assurée. Ainsi, un récent Insee Analyses portant sur la mesure des compétences des adultes présente les arguments suivant : l’habitude de répondre à des tests (et en particulier sous la forme de QCM) au sein de cursus scolaires est inégalement répartie selon les pays, tout comme la qualité des données obtenues ou bien encore parce que les questions n’ont pas forcément des caractéristiques identiques (en termes de difficulté). L’approche « unidimensionnelle » de la méthode d’évaluation utilisée dans les tests PIAAC a aussi été critiquée. En effet, cette approche relève d’un score unique identifiant un niveau de compétence, par opposition à ce qui a été effectué avec l’enquête Information et Vie Quotidienne (IVQ) où pour les bas niveaux de compétence, la maîtrise de l’écrit est évaluée sur 3 dimensions : production, identification et compréhension de mots (cf. document de l’Insee cité plus haut). D’autres observateurs relativisent aussi la portée des résultats de PIAAC, comme par exemple, Marie Duru-Bellat, sociologue de l’éducation (notamment : « les jeunes sont meilleurs que les vieux », « l’enquête interroge davantage le monde du travail, son organisation »). Malgré ces réserves, nous présenterons les principaux résultats pour la France qui nous semblent intéressant à noter, notamment en termes d’inégalités de compétence dans la population.

 

PIAAC 2012 : résultats pour la France, population entière

Soulignons que l’échelle des niveaux de compétences mesurées dans l’enquête PIAAC, de 1 à 6 (avec un niveau spécial ‘inférieur à niveau 1’) ne correspond pas à l’échelle des niveaux de formation (diplômes) telles que définis par l’Education Nationale (du niveau VI au niveau I, c’est-à-dire de ‘sans diplôme ou certificat d’études primaires’ à bac + 5 et plus) et tels qu’ils sont par exemple mesurées dans le Recensement de la population ou dans l’enquête Emploi (se reporter à la note en dessous du tableau 1 pour plus de détail sur les niveaux considérés par l’OCDE).

Seule environ 8% de la population interrogée appartient aux niveaux 4 ou 5 de compétences dans les domaines de la littératie et de la numératie (cf. tableau 1). A partir du niveau 3 défini par l’OCDE, les tâches devant être effectuées se complexifient (en littératie, les textes deviennent longs ; en numératie il est nécessaire de pouvoir interpréter de manière sommaire tableaux et graphiques). Près de 60% des 16-64 ans interrogés ne dépassent pas le niveau 2. Les 21% ne dépassant pas le niveau 1 en littératie et les 28% ne dépassant pas le niveau 1 en numératie sont identifiés par l’OCDE comme « en difficulté » dans le domaine de compétence étudié. Ces résultats sont représentatifs de la population en moyenne : il convient d’affiner le panorama en décomposant les niveaux de compétences relatifs selon les différentes générations, mais aussi selon d’autres groupes socio-économiques (cf. infra). PIAAC documente également (entre autres) : l’utilisation des compétences dans des environnements riches en technologie de l’information et la ‘sur-qualification’ (tests non réalisés en France) ou la ‘sous-qualification’ résultant de l’inadéquation entre les compétences du travailleur et les compétences requises à son poste de travail (se rapportant au skills mismatch), le lien (corrélation) entre salaire et niveau de compétence selon le domaine considéré.

 Tableau 1 : niveaux de compétence dans la population française

Première enquête PIAAC : les compétences des adultes français en question


 

 

 

 

 

Source : enquête PIAAC 2012 (OCDE).

    Note : Chaque niveau de compétence regroupe un intervalle de scores aux tests effectués dans le domaine en question. Le score de chaque enquête est  déterminé à partir d’un modèle statistique en fonction des réponses des enquêtés. Les scores individuels sont tels que la moyenne des scores individuels est fixée à 250 et l’écart-type à 50.

 

Des inégalités significatives en numératie et littératie

Tout comme PISA pour les élèves de 15 ans, l’enquête PIAAC pour les 16-64 ans s’inscrit dans une volonté de mettre en évidence les écarts de compétences existantes selon l’origine sociale, le pays d’origine, la génération, etc. Les inégalités entre générations sont assez triviales, s’inscrivant depuis le milieu du 20ème siècle dans un contexte de montée régulière des niveaux d’éducation ; la formation professionnelle ou la formation non formelle ou informelle (l’ensemble des compétences acquises hors d’espaces structurés d’apprentissage) compléte les compétences acquises en formation initiale.

Quel que soit le critère de différenciation socio-démographique retenu, la différence moyenne entre les deux groupes considérés (voir note explicative n°1 en dessous du tableau) est toujours significative pour la compétence ‘littératie’ (tableau 2), même si l’écart est quasi-nul pour la différence hommes-femmes. Les plus grands écarts de compétence sont ceux mesurés entre les plus et les moins éduqués et entre les enfants d’origine française et ceux d’origine étrangère. L’important écart selon le niveau de formation est tout sauf surprenant : cela signifie qu’en moyenne, les compétences ‘formelles’ acquises dans les systèmes d’éducation et de formation sont fortement corrélées à l’ensemble des compétences ‘effectives’ valorisables en environnement de travail ou autre. Les écarts sur les autres critères sont sensiblement inférieurs mais toujours significatifs. Pour la numératie, les écarts en compétences selon différents groupes socio-démographiques sont plus marqués. En particulier, la différence de score selon le genre n’est maintenant plus négligeable.

 Tableau 2 : différence de score en numératie et littératie entre groupes socio-démographiques

Première enquête PIAAC : les compétences des adultes français en question

Source : enquête PIAAC 2012 (OCDE).

Lecture : différence de score entre deux groupes de références socio-démographiques.

Note 1 : Les différence de score se calculent entre deux groupes, (1) entre les adultes les plus âgés et les plus jeunes, (2) entre les hommes et les femmes, (3) entre les enfants nés en France et ceux nés à l’étranger, (4) entre les adultes de niveau de formation supérieur au bac et ceux à niveau d’éducation inférieur au bac, (4) entre les adultes dont l’un au moins des parents à un niveau de formation supérieur au bac et ceux dont aucun des parents n’a atteint le niveau bac, (5) entre les travailleurs qualifiés et les travailleurs non qualifiés (« professions élémentaires »).

Note 2 : toutes les différences de score présentées sont statistiquement significatives.

Note 3 : les différences de score ont été ajustées économétriquement à partir de plusieurs variables socio-démographiques (niveau de formation et/ou profession, etc.) afin de neutraliser l’effet des différences de composition de chaque groupe pris en compte.

 

Compétences des adultes et politiques publiques

Au-delà du potentiel aspect « normatif » de sa dimension ‘benchmark’ et des précautions à prendre dans la lecture de ses résultats, PIAAC apporte des éléments précis de mesure des inégalités de compétences selon plusieurs dimensions socio-démographiques (origine des parents, formation des parents, etc.). L’enquête ajoute ainsi une batterie intéressante d’indicateurs d’éducation et/ou de compétences pour la France à ceux existant déjà ou pouvant être calculés pour les 16 ans et plus (en particulier à partir des enquêtes Emploi [Labor force surveys au niveau européen]) ou mesurés pour la population scolaire (exemple : les données de l’Education Nationale) ou des 15 ans (PISA). PIAAC comporte ainsi une vraie richesse au-delà d’aspects plus normatifs ; certains éléments, bien que préoccupants, doivent aussi être relativisés (ainsi, les inégalités entre générations soulignent la progression des compétences des jeunes générations par rapport aux plus anciennes).

A partir de PIAAC, l’OCDE propose plusieurs mesures de politiques publiques, l’une relevant du dogme traditionnel de flexibilisation du marché du travail (« créer des pratiques souples sur le marché du travail ») et les autres de mesures d’identification, de transférabilité ou de conseil sur les compétences (« recueillir des informations opportunes sur l’offre et la demande des compétences », « assurer des conseils d’orientation de qualité », et « assurer la cohérence des  qualifications et la facilité de leur interprétation »). Se basant sur les résultats de PIAAC, la Commission Européenne a également fourni un ensemble de propositions pour les politiques d’éducation et de formation en Europe, propositions assez détaillées prenant la forme de : pistes d’étude/de recherche, programmes d’actions ciblés d’éducation et/ou de formation intégrés dans les stratégies Europe 2020 ou Education et Formation 2020, développement d’outils d’identification des compétences, modification des benchmarks intégrés dans les stratégies européennes pour la croissance et l’éducation, forums ou rendez-vous européens de discussion et de concertation, etc. Certaines recommandations sont ciblées au niveau de chacun des pays en réponse à leurs challenges spécifiques : de manière (trop ?) générale, pour la France, le document recommande ainsi de mettre en œuvre des actions « pour améliorer les perspectives d’emploi des chômeurs les plus âgés en particulier à travers du conseil et de la formation spécifiques et pour accroître la participation des adultes à la formation tout au long de la vie, en particulier des moins qualifiés et des chômeurs » (traduction du rédacteur).


Nicolas Fleury