Derrière l’écotaxe, une histoire de fonds

A travers le projet de “péage de transit poids lourds” présenté au parlement le mercredi 25 juin, le gouvernement réaffirme l’application au secteur des transports du principe de l’utilisateur-payeur porté par l’écotaxe, en limitant toutefois son ampleur. Drapée des atours de la protection de l’environnement, cette taxe est avant tout destinée à dégager de nouvelles ressources pour l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France (AFITF).

Les fonds de financement des infrastructures : une tradition française

La problématique du financement des infrastructures de transports est ancienne en France. Au sortir de la seconde guerre mondiale, les besoins sur le réseau routier français sont considérables. La question se pose alors de garantir des ressources fixes et durables, indispensables à la réalisation des travaux programmés. La loi du 30 décembre 1951 institue alors un fonds spécial d’investissement routier (FSIR), alimenté par un prélèvement sur la taxe intérieure sur les carburants routiers afin d’échapper aux aléas du financement budgétaire. Cette ressource, liée à la consommation d’essence doit permettre l’adaptation du réseau routier. Mais le FSIR va progressivement perdre de son intérêt : d’une part, l’Etat ponctionne à plusieurs reprises ses ressources et, d’autre part, à partir du milieu des années 1950, la construction d’autoroutes se finance de manière autonome à travers le système de la concession. La question du financement du réseau routier “classique” demeure entière.

En 1982, le Fonds spécial grands travaux (FSGT) succède au FSIR. Son objet est plus large que ce dernier puisqu’il est destiné au financement des travaux d’équipement des transports publics, de la circulation routière et de la maîtrise de l’énergie. Il est lui aussi doté de l’autonomie financière et alimenté par des emprunts couverts par une taxe spécifique sur les produits pétroliers. Mais, au bout de cinq ans, le nouveau ministre de l’Equipement estime que le recours au FSGT n’a pas empêché l’effondrement des investissements routiers et il décide de sa suppression.

En 1995, le Fonds d’Investissement pour les transports terrestres et les voies navigables (FITTVN) voit le jour pour garantir des ressources aux chemins de fer, aux voies navigables et au réseau routier. A l’instar de ses prédécesseurs, le nouveau fonds est alimenté par des ressources extra budgétaires, dont une taxe sur les sociétés autoroutières. Mais là encore, comme le souligne un rapport du Sénat, ses ressources sont utilisées par l’Etat pour compenser les défaillances du budget des transports terrestres. Vidé de sa substance, le FITTVN est supprimé en 1998.

La “peau de chagrin” de l’AFITF

Le 18 décembre 2003, le Comité interministériel d’aménagement du territoire prolonge la tradition désormais bien établie et décide la création d’une agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF). Une nouvelle fois, l’enjeu est d’affecter des ressources pérennes aux infrastructures de transports en les sortant du champ de la régulation budgétaire. L’AFITF doit ainsi recevoir, au titre d’établissement public de financement, l’intégralité des dividendes et des redevances domaniales des sociétés d’autoroutes ainsi que des dotations budgétaires.

Las, l’AFITF n’échappe pas au destin de ses prédécesseurs et, en 2006, la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes la prive de sa source de financement initiale. Le gouvernement remplace la ressource pérenne que constituaient les dividendes des Sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes (SEMCA) par une ressource transitoire, à savoir une dotation de 4 Mds d’euros financée sur la vente des sociétés concessionnaires – qui a rapporté 14,8 milliards d’euros principalement utilisés pour réduire la dette publique – et étalée sur 4 ans. A partir de 2008, l’AFITF ne dispose plus que de 3 ressources pérennes, pour un montant de 926 M€ et les subventions budgétaires prennent le relais, notamment dans le cadre du Plan de relance. Pour le gouvernement, il y a urgence à trouver de nouvelles sources de financement.

Derrière l'écotaxe, une histoire de fonds

L’AFITF passe au vert

L’AFITF va trouver un second souffle à l’occasion du “Grenelle de l’environnement” qui recentre ses objectifs sur le développement durable. La loi de programmation du 3 août 2009, relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, prévoit ainsi qu’une “écotaxe” destinée à financer les projets d’infrastructures de transport sera affectée chaque année à l’AFITF. L’objectif affiché de cette taxe est d’asseoir les bases d’une fiscalité écologique qui favorisera le report du fret routier sur le rail et les voies navigables.

Il ne faut cependant pas surestimer la capacité de l’AFITF à infléchir les trajectoires de développement des différents modes de transports. Ainsi, selon le rapport des comptes des transports 2012, le total des investissements en infrastructures de transport représentait 20,4 milliards d’euros en 2012, un chiffre à comparer aux 1,9 milliards de budget de l’AFITF la même année. Ce montant est quasiment équivalent aux 1,8 milliards d’investissements consacrés en 2012 à la construction d’autoroutes concédées. Et, au sein même du budget de l’AFITF, la répartition des dépenses est souvent largement en faveur du transport routier. Dans ces conditions, l’AFITF peut-elle constituer un outil efficace de développement des infrastructures de transport les moins polluantes ?

Derrière l'écotaxe, une histoire de fonds

La création de l’écotaxe n’est pas exempte d’un certain opportunisme : pour le gouvernement, il s’agit aussi de compenser la perte de la rente autoroutière qui, comme le soulignera un rapport de la Cour des Comptes, fait peser une incertitude sur les ressources de l’AFITF. Il s’appuie sur une réflexion menée en 1993 par la Commission européenne. Soucieuse d’aider les Etats membres à entretenir correctement leurs réseaux routiers, elle produit une série de directives dites “Eurovignette” qui facilite le prélèvement de taxes auprès des transporteurs routiers. Le principe est celui d’une internalisation des coûts : le transport routier doit payer pour la dégradation des routes qu’il génère.

L’Allemagne qui, depuis la réunification, est confrontée à l’entretien des infrastructures vétustes de l’ex RDA et ne peut générer des ressources à partir de son réseau autoroutier gratuit, va s’appuyer sur la directive Eurovignette pour mettre en place, en 2003, une taxe frappant les véhicules de plus de 12 tonnes. De son côté, les administrations routière et fiscale françaises de l’époque, confrontées à la question du financement du réseau routier classique, développent les mêmes réflexions et le secrétaire d’Etat aux Transports, Dominique Bussereau, se prononce alors en faveur d’une “taxe à l’allemande”. C’est donc naturellement que le Grenelle de l’environnement lancé en 2007 va accueillir ce nouveau dispositif fiscal et redonner un élan à l’AFITF dont l’utilité – à l’instar de ses prédécesseurs – demeure contestée.

Un dispositif fiscal revu à la baisse

En janvier 2013, dans une lettre de cadrage faisant suite au séminaire gouvernemental sur la transition énergétique, Jean-Marc Ayrault annonce la mise en place d’une écotaxe pour les poids lourds. Le rapport de la commission “Mobilité 21”, confirme que l’objectif est de dégager de nouvelles ressources pour l’AFITF qui se substitueront progressivement à la subvention versée par l’Etat. A raison d’une tarification moyenne de 13 centimes d’euro par kilomètre portant sur un réseau de 15 000 km, le nouveau dispositif fiscal doit générer une recette brute annuelle de 1,24 milliards d’euros. Sur ce montant, 760 M€ seront affectés à l’AFITF et 240 millions d’euros reviendront au collecteur, la société Ecomouv’ à qui l’Etat a attribué le Partenariat Public-Privé (PPP).

La nouvelle taxe se heurte à l’opposition de la Fédération des transporteurs routiers mais également du mouvement dit des “bonnets rouges” qui conteste un dispositif touchant une Bretagne jusque-là épargnée par le péage autoroutier. Face aux mouvements de contestation, Jean-Marc Ayrault, alors Premier Ministre, annonce en octobre 2014 la suspension de l’écotaxe. Il faut attendre quelques mois avant que le nouveau gouvernement la réintroduise dans le projet de loi de finances rectificative 2014 qui sera soumis au vote du Parlement en juillet 2014.

Le nouveau dispositif, rebaptisé “péage de transit poids lourds”, est moins ambitieux que “l’écotaxe”, mais plus conforme, au moins dans son appellation, à son histoire et à sa fonction. Le futur prélèvement s’appliquera sur 4 000 kilomètres de routes où le trafic poids lourds dépasse les 2 500 véhicules par jour. Il doit rapporter une recette brute de 550 millions d’euros par an à compter de 2015, soit moitié moins que l’écotaxe. Compte tenu du loyer versé à Ecomouv’, le péage de transit ne génèrera guère plus de 300 millions d’euros de ressources pour l’AFIT. Le manque à gagner devrait être compensé par une limitation des dépenses et par une dotation complémentaire de l’Etat.

Compte-tenu de l’histoire dans laquelle s’inscrit l’écotaxe, sa dimension écologique reste à démontrer. Pour autant, la prédominance des investissements ferroviaires dans le scénario 2 du rapport de la Commission Mobilité 21 retenu par Jean-Marc Ayrault, va dans le sens d’une orientation des ressources générées par la nouvelle fiscalité vers des modes de transports moins polluants. Par ailleurs, la taxe peut avoir un effet incitatif dans l’utilisation de ces modes de transports alternatifs à la route. Il serait donc dommage que le gouvernement renonce à utiliser cet outil de la politique environnementale en raison des difficultés rencontrées par l’écotaxe. La suspension en juin dernier des travaux du Comité pérenne pour la fiscalité écologique ainsi que les déclarations de la nouvelle ministre de l’Ecologie sur l’écologie “punitive”, ne sont, de ce point de vue, pas de bon augure.


Mathieu Malaquin