Troisième Conférence sociale : la dernière ?
Un contexte social plombé par le Pacte de responsabilité et le délitement des « contreparties » sociales
Les deux premières conférences sociales avaient constitué un agenda social, dont la feuille de route était plus ou moins respectée, mais qui avait le mérite d’associer les partenaires sociaux aux réformes sociales. Cette méthode a été remise en cause par le président de la République dès le début d’année, avec l’annonce du Pacte de responsabilité, sans consultation préalable des syndicats. FO et la CGT s’y opposent. Dans le même temps, la progression continue du chômage suscitait des doutes concernant l’efficacité de la méthode elle-même. Ceux-ci se sont exprimés notamment vis-à-vis de la loi sur la sécurisation de l’emploi, réforme du marché du travail qualifiée d’historique par ses partisans, et devenue symbole de la méthode Hollande. Ses promoteurs sont déçus par l’insuffisance des effets produits par celle-ci, en particulier concernant les accords de maintien de l’emploi. Quant aux syndicats signataires, ils ne peuvent que constater le délitement ou l’inefficacité de ce qu’ils affichaient comme des contreparties obtenues par l’accord du janvier 2013 : l’interdiction des temps partiels inférieurs à 24 heures hebdomadaires a laissé place à une dérogation possible en cas d’accord du salarié, la majoration des cotisations chômage selon la durée des CDD s’est révélée inefficace, les droits rechargeables ont été intégralement financés par les salariés. De même, plusieurs mois après l’annonce du Pacte de responsabilité, les négociations de branche, censées définir la contrepartie des allègements de cotisations sociales accordées aux employeurs, piétinent. Il y a bien eu quelques accords, mais ils semblent insuffisants compte tenu des attentes relatives à l’emploi.
A quelques jours de la conférence sociale, l’entrée en vigueur du compte pénibilité, contrepartie de l’allongement de la durée d’assurance à 43 ans dans le cadre de la réforme des retraites de 2014, a été reporté unilatéralement par le Premier ministre. Tous les syndicats ont exprimé leur indignation, le secrétaire général de la CFDT ayant même employé le terme de « rupture ». Ce report est symbolique. Les départs anticipés pour pénibilité sont une mesure d’équité : l’espérance de vie des cadres à la retraite est supérieure de sept ans à celle des ouvriers. Dans un contexte d’allongement de la durée d’assurance et de recul de l’âge de la retraite, le départ anticipé des salariés ayant effectué des tâches pénibles au cours de leur carrière apparaît incontournable. Il y a consensus sur cette idée défendue par tous les gouvernements depuis 2003, y compris par le gouvernement Fillon, même si, finalement, il a changé d’avis en 2010, au moment de la réforme des retraites. Le dispositif instauré par la réforme des retraites de 2014 repose sur des facteurs de risques professionnels. C’est cette complexité qui est dénoncée par le patronat. Pourtant, n’est-ce pas lui qui, lors de la négociation sur la pénibilité ayant eu lieu de 2005 à 2008, a ouvert la voie à un dispositif de prise en compte individuelle de la pénibilité basé sur des facteurs de risques professionnels, après avoir refusé une prise en compte de la pénibilité par métier ?
Plus fondamentalement, la réunion préparatoire de la Conférence sociale n’a pas laissé entrevoir de grande réforme sociale susceptible de remobiliser les syndicats, comme ce fut le cas en 2012-2013 avec la sécurisation de l’emploi, les emplois d’avenir, et les contrats de génération, et en 2013-2014 avec les réformes des retraites et de la formation professionnelle.
Dans ce contexte, la CGT et FO ont refusé de participer aux différentes tables rondes de la Conférence sociale, rejoints par la FSU et Solidaires. Sans aller jusque-là, d’autres syndicats, soutiens du Pacte de responsabilité, comme la CFDT, ont haussé le ton.
La méthode Hollande du dialogue social a-t-elle vécu ?
La première Conférence sociale se voulait l’événement fondateur de la méthode Hollande du dialogue social, résumée ainsi en janvier 2013 par le Premier ministre d’alors : « la concertation et la négociation [sont] la condition de réformes intelligentes et durables ».
Le contraste entre la Conférence 2014 et les deux précédentes est frappant. La feuille de route sociale 2014-2015 est considérablement allégée. Les grands dossiers du moment, c’est-à-dire essentiellement la mise en œuvre du Pacte de responsabilité, ne passent pas par le dialogue social (excepté les hypothétiques contreparties du Pacte issues des négociations de branche), et ont donc été absents de la Conférence. De même, l’emploi des seniors, abordé quant à lui au cours de la Conférence, avait déjà fait l’objet d’annonces préalables du président de la République et du ministre du Travail. La protection sociale a disparu de cette feuille de route. Celle-ci prévoit la création de nombreuses instances, groupes de travail, et missions, quand d’autres, créées par les précédentes Conférences, ne sont plus mentionnées (Haut Conseil de la protection sociale par exemple).
La feuille de route est composée de cinq parties, dont trois font apparaître leurs limites :
- Celle consacrée au système de santé et à la santé au travail énonce des généralités qui ne parviennent pas à dissimuler l’absence de projet, contrairement aux deux précédentes feuilles de route sur ce sujet.
- Celle intitulée « Croissance, investissement, pouvoir d’achat » ressemble plus à une feuille de route de gouvernement qu’à une feuille de route sociale, tant les intentions présentées ne sont en rien spécifiques au dialogue social. Le seul sujet qui en relève porte sur l’épargne salariale. Sa réforme était déjà inscrite dans la première feuille de route sociale. Elle devait donner lieu à une négociation interprofessionnelle. Désormais, suite au rapport de l’IGAS, indiquant que les partenaires sociaux ne sont « pas particulièrement dans l’attente d’une négociation interprofessionnelle sur ce thème », seule une délibération est prévue pour poser les principes d’une réforme. La baisse du forfait social est envisagée pour certains types d’investissement, alors qu’il a été relevé fortement en 2012, ce qui a entraîné la renégociation de nombreux accords d’intéressement et de participation.
- La partie relative au dialogue social mêle le niveau européen et celui de l’entreprise, sans laisser entrevoir de cohérence globale. Elle prévoit la définition, par l’État et les partenaires sociaux, d’une méthodologie pour réduire le nombre de branches. Elle prône l’amélioration du dialogue social dans l’entreprise – dont la cohérence avec l’ouverture d’une négociation relative à un éventuel assouplissement des seuils sociaux est loin d’être évidente –, et évoque, dans cet objectif, la reprise de la négociation sur la modernisation et la qualité du dialogue social dans les entreprises, démarrée en 2009, et interrompue depuis 2012.
La question de l’emploi prévoit deux axes d’intervention, qui n’associent que marginalement les partenaires sociaux :
- Pour l’emploi des seniors, il est prévu un doublement de l’aide pour les contrats de génération (22 786 contrats signés à fin mars 2014, contre un objectif prévu de 75 000, et 500 000 d’ici 2017), des contrats aidés supplémentaires, l’encouragement de l’alternance pour les chômeurs seniors, et la création d’un nouveau contrat de professionnalisation.
- Concernant la relance de l’apprentissage, le gouvernement fait machine arrière : après avoir réduit de 550 millions d’euros les aides publiques à l’apprentissage en 2014, il cherche à le favoriser pour traiter le chômage des jeunes. Il maintient son objectif de 500 000 apprentis en 2017 et dégage 200 millions d’euros supplémentaires.
Un épiphénomène à prendre au sérieux
Que s’est-il donc joué fondamentalement les 7 et 8 juillet au palais d’Iéna ? Cette troisième Conférence sociale, marquée par les menaces de boycott du patronat, puis par le boycott effectif d’une partie des organisations syndicales, constitue-t-elle un accroc ponctuel aux relations sociales, ou porte-t-elle la marque d’une modification plus structurelle du mode de gouvernance sociale ? Il ne faut certes pas donner plus d’importance à ce que le secrétaire général de FO nomme « interruption » (et non rupture) du dialogue social. Chacun assure pour se rassurer que l’ensemble des parties prenantes se retrouvera à la table des discussions en septembre. Néanmoins, l’esprit de la première Conférence sociale n’est plus là.
En 2012, l’ensemble des organisations syndicales se déclaraient globalement satisfaites de la Conférence sociale. Si, sur le fond, les avis étaient plus partagés, l’éventail de la feuille de route sociale permettait à toutes d’y trouver des points de satisfaction. Le patronat, de son côté, après une réaction épidermique au discours de clôture de Jean-Marc Ayrault, s’était engagé pleinement dans la mise en œuvre de la feuille de route. À cette époque, il était même question de constitutionnaliser le dialogue social. Cette idée, présentée comme l’ultime reconnaissance des acteurs sociaux, s’est depuis perdue dans les limbes. Même le Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui s’était autosaisi du sujet en 2013 n’a pas abouti : le projet d’avis « Le dialogue social : vecteur de démocratie, de progrès social et de compétitivité », présenté le 10 juin 2014, a été rejeté majoritairement au cours du vote.
Où en est le « compromis positif » voulu par le Président Hollande en 2012, présenté à la fois comme une fin et comme un moyen pour sortir de la crise ? Il appelait alors de ses vœux un changement de méthode, mais surtout un « changement de posture », et promettait, pour sa part, de ne pas réformer « à la hussarde ». Les postures comme les hussards semblent avoir repris le devant de la scène sociale en 2014. Pour Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), trois conditions sont nécessaires pour réussir la « méthode du dialogue social » pour sortir de la crise : que le patronat sorte du chantage ; que le gouvernement ne revienne pas sur ce qui était acquis et que les syndicats surmontent leurs divisions. Force est de constater qu’aucune de ces trois conditions n’est remplie aujourd’hui. Elles ne l’étaient pas plus à l’orée de la première Conférence sociale de 2012, mais, à cette époque, beaucoup d’acteurs comme d’observateurs croyaient en la volonté et en la capacité des acteurs sociaux comme politiques à y parvenir. De grandes espérances devenues de vaines espérances…
Claire Blondet et Antoine Rémond