Girl from Rio Branco : Marina Silva peut-elle gagner les présidentielles brésiliennes grâce à l’éducation (et à l’écologie) ?
Le Brésil : 3 faits stylisés marquants
Le Brésil est un des pays « émergents » du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et a connu une forte croissance sur les 15 dernières années (cf. figure 1). En particulier, les politiques menées lors deux mandats de Luiz Inácio Lula da Silva (dit Lula) ont eu des effets redistributifs qui ont permis de réduire les inégalités et la pauvreté et de favoriser la croissance (voir l’article de Pierre Salama, 2010). Malgré cela, le Brésil reste un des pays les plus inégalitaires au monde (World Bank, 2004) : ainsi, le top 10% des revenus du pays a touché 43.1% des revenus de 2009 (voir ce travail récent sur la question).
Figure 1
Le très fort déficit éducatif brésilien explique sans doute une part importante du niveau d’inégalités dans le pays. En particulier, les taux de scolarisation mesurés de 3 à 29 ans demeurent faibles au Brésil (qui a un statut de partenaire de l’OCDE) et en-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE (source pour toutes les données d’éducation : OCDE, Education at Glance, ed. 2014). Le pourcentage de la population des 25-64 ans ayant atteint un niveau secondaire supérieure (niveau baccalauréat) s’établit à 32% ce qui est bien inférieur à la moyenne de l’OCDE (44%) et surtout, les qualifications de niveau supérieur représentent seulement 13% des 25-64 ans (contre 33% en moyenne dans l’OCDE). Tout aussi préoccupant reste la part de la population des jeunes brésiliens en situation de « NEET » (neither employed nor in education or training, ni en formation ni en emploi), significativement supérieure à la moyenne de l’OCDE. Ces performances médiocres ne doivent pas cacher un investissement public dans l’éducation élevé et en augmentation : les dépenses d’éducation ont crû fortement au Brésil dans les années 2000 s’élèvent à 6,1% du PIB en 2011 (ce qui est au-dessus de la moyenne de l’OCDE [5,6 en 2011]).
Demande sociale d’éducation et élections présidentielles
Après l’attribution de la Coupe du monde de football 2014 au Brésil, les critiques se sont élevées pour atteindre leur paroxysme en 2013 et 2014 : à l’occasion de grandes manifestations dans tout le pays, la demande de plus d’argent pour l’éducation et la santé était centrale, en perspective des milliards de dépenses allouées par le Brésil à l’organisation de l’évènement de la FIFA (voir des critiques plus générales sur l’organisation internationale ici). En particulier, la nécessité de l’accès des jeunes des favelas à l’éducation en général, à l’éducation dès la petite enfance en particulier et aux services de santé reste un problème majeur (the Rio Times, August 2014). L’œuvre emblématique de Paulo Ito qui a connu un succès fulgurant au milieu de l’année (notamment sur les réseaux sociaux) a sans doute bien synthétisé la demande sociale qui s’est incarnée dans les manifestations :
Figure 2
Oeuvre de street art de Paulo Ito (2014)
Les résultats économiques et sociaux du mandat de Dilma Roussef sont souvent jugés décevants. La croissance économique du Brésil s’est essoufflée depuis 2010 (cf. figure 1). La croissance s’annonce très faible en 2014, handicapée par une baisse des investissements (le premier trimestre est même marqué par une récession). De plus, le programme d’éradication de la grande pauvreté (central dans l’élection de Dilma Roussef) génère des résultats positifs mais limités en termes d’éducation ou de santé.
C’est dans ce contexte que l’élection présidentielle brésilienne du 5 octobre 2014 (assortie d’élections régionales et législatives) voit s’affronter 2 principaux candidats (si on met de côté Aécio Neves pour le parti social-démocrate, loin derrière en intentions de votes – fin Août 2014) :
– la présidente sortante Dilma Roussef (du Parti des Travailleurs, ayant succédé à Lula). Elle veut réduire l’inflation, poursuivre les programmes sociaux et de santé comme la Bolsa Familia et Mais Médicos, et augmenter le salaire minimum. Au niveau de l’éducation, la mise en place du plan national d’éducation décennal (voté en juin 2014), plus de places en crèche, et une meilleure formation et salaires pour les professeurs sont des axes clés. Sur le plan de l’écologie, elle veut notamment encourager l’usage des énergies renouvelables et développer le recyclage.
– Marina Silva (écologiste, investie pour le Parti socialiste suite au décès accidentel du candidat Edouardo Campos en Août 2014), issue du parti écologiste et à la vie encore plus romanesque que Lula (issue d’une famille pauvre de Rio Branco, dans l’Etat d’Acre) et aux positions généralement progressistes mais aussi parfois conservatrices. Elle souhaite notamment lever les taxes sur l’investissement, réduire l’inflation (en accordant une plus grande indépendance à banque centrale, en limitant le soutien au real, et en procédant à des coupes budgétaires en épargnant et favorisant les programmes sociaux comme la Bolsa Familia), continuer et approfondir les programmes sociaux, développer les investissements dans la santé et promouvoir l’éducation (consacrer 10% du PIB à l’éducation mais également 10% à la santé, améliorer l’accès à l’enseignement supérieur, augmenter le salaire des professeurs), mais aussi privilégier l’investissement dans des sources d’énergies propres (solaire et éolien).
Et maintenant ?
En plus des résultats mitigés des politiques menées par Dilma Roussef, les accusations de corruption concernant certains de ses proches ou certains députés sont allées bon train durant son mandat et n’ont pas manqué de réduire les intentions de vote et pourront peser dans les décisions des électeurs brésiliens (voir la dernière suspicion en date présentée ici). Au coude à coude au premier tour avec Dilma Roussef, Marina Silva est actuellement donnée gagnante au second tour (47% contre 43% des intentions de vote, sondage réalisé par Datafolha le 9 septembre 2014), sans doute expression d’un important rejet populaire grandissant du Parti des Travailleurs malgré l’empreinte de l’emblématique Lula.
Figure 3
Expression populaire à Salvador de Bahia (septembre 2014)
La place de l’éducation dans le débat présidentiel a été accentuée avec la signature le 26 juin 2014 (après 4 ans de débat) par Dilma Roussef d’un nouveau plan éducatif décennal qui vise un objectif de dépenses d’éducation à 10% du PIB. Ce plan est assorti de 20 objectifs et d’un ensemble de stratégies visant à rendre ce programme efficace (the Rio Times, August 2014). Il est déjà critiqué par nombre d’observateurs pour son affichage quantitatif favorisé assorti d’incertitudes sur les conditions de son efficacité : en particulier, faute de pédagogies ou d’encadrement adapté, le risque que ce nouveau programme soit un éléphant blanc est avancé par de nombreux détracteurs.
Les différences entre les programmes de Dilma Roussef et de Marina Silva ne sont pas flagrantes à la lecture : la personnalité des candidates autant que leur action politique antérieure seront primordiales dans les décisions des électeurs. Marina Silva semble posséder un atout significatif : elle fut ancienne ministre de l’environnement de Lula de 2003 à 2008 mais démissionna suite à des désaccords avec le président et le gouvernement sur de nombreux dossiers liés au développement durable (en particulier : barrages hydroélectriques, ogm, agrocarburants). Son travail pour la défense de l’environnement (lutte contre la déforestation) et la justice sociale en tant que députée de d’Acre puis sénatrice de l’Amazonie n’est pas non plus passé inaperçu, après sa participation à la création et la direction du syndicat Centrale Unique des Travailleurs (proche du Parti des Travailleurs à l’époque) de l’Etat d’Acre avec Chico Mendes (icône de la défense de l’Amazonie et militant pour la réforme agraire). La perception des piliers du programme de Marina Silva (économie équilibrée avec l’écologie, éducation) et sa personnalité seront-ils à même de séduire les électeurs brésiliens le 5 octobre ?
Nicolas Fleury