Accord de Paris sur le climat : que pèsent les symboles face à l’urgence climatique ?
L’art du compromis… à 195
Si chacune des Parties ou chaque catégorie d’Observateurs à la Convention–cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) fait une recherche par mot-clé dans le document adopté à Paris le 12 décembre, elle a dans une certaine mesure des raisons d’être satisfaite. A l’exception de certaines absences notoires (transports aérien et maritime, énergies fossiles, etc), les négociateurs se sont efforcés de reprendre dans le document de nombreuses revendications : les « mesures de riposte » si chères aux producteurs d’énergies fossiles, la référence à 1,5°C à la satisfaction des climatologues et des petites îles, la réaffirmation du respect du principe de responsabilité commune mais différenciée, la mise en place d’un mécanisme de révision, suivi et vérification des ambitions de réduction…C’est donc une prouesse en matière de compromis à laquelle sont parvenus la Présidence française, le secrétariat de la CCNUCC et l’équipe de négociateurs. Leur souhait était qu’aucune des Parties ne puisse se dire totalement perdante ou complètement gagnante, étant donné qu’en ce domaine, et avec autant de Parties autour de la table, l’antienne du gagnant/gagnant était par nature impossible.
L’Accord de Paris est donc une avancée car tous les Etats reconnaissent dorénavant que les changements climatiques sont une réalité scientifique, dont l’Homme est la principale cause, notamment dans les pays industrialisés, et qu’il est urgent d’agir pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels. Au-delà de cette avancée majeure, le bilan est plus sombre.
Les détails qui tuent…une grande partie des ambitions
La CoP21 a donné lieu à la rédaction de deux textes au statut juridique différent : l’Accord de Paris, qui est le texte négocié par les Parties, et une Proposition du Président, en l’espèce le Ministre des Affaires Etrangères de la France, qui assure la Présidence de la CCNUCC jusqu’à la CoP 22. La recherche par mot clé que nous évoquions en début de billet permet de distribuer des satisfecit. L’exégèse des deux textes qui permet de tenir compte de leur nature juridique et de rentrer dans le détail des formulations renverse la perspective : dans le document remis aux Parties, le diable se cache maintenant dans les détails.
L’Accord de Paris est le premier accord sur les changements climatiques universel en ce sens que tous les Etats ont accepté de l’adopter et de remettre des objectifs de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre y compris ceux qui n’en émettent guère. Mais ces contributions, qui soit dit en passant nous placent sur une trajectoire à 3° bien loin des 1,5° préconisés par la science, sont conditionnées à l’obtention d’aides financières. Ce sont ces aides qui ne figurent pas ou très insuffisamment dans le texte de l’Accord.
Par exemple, les 100 milliards de dollars par an que se sont engagés à verser les pays riches jusqu’en 2020 sont dorénavant considérés comme un plancher. Problème, ce n’est pas inscrit dans le texte de l’Accord mais seulement dans la Proposition. Si les débats sur la nature juridiquement contraignante de l’Accord de Paris divisent les juristes internationaux, en revanche, ils sont unanimes pour affirmer que la Proposition du Président n’a pas de valeur juridique. Elle constitue simplement un élément de cadrage, d’explicitation, une proposition au sens propre du terme.
Comment passer de la « justice climatique » en droit à la « justice climatique » en fait ?
Pour de nombreux acteurs, la force principale de ces textes réside dans leur opposabilité au moins morale : les Etats se sont engagés publiquement à financer la lutte contre les changements climatiques, ils se sont engagés sur des niveaux de réduction des émissions. Ils ont donc une responsabilité morale à respecter ces engagements. Considérer la situation sous cet angle permet de dépasser les interrogations sur la nature juridique du texte, sur le nombre d’Etats qui in fine le ratifieront. Cela permet également de ne pas ajouter de la désespérance à la perplexité : instaurer des droits à polluer est-il un moyen juste, voire efficace, de lutte contre les changements climatiques (par exemple le mécanisme REDD consacré dans l’article 5) ?
La Confédération syndicale internationale regrette que la mention de la transition juste, comme tout ce qui affère aux droits de l’Homme, ait été déplacée d’un paragraphe opérationnel au préambule de l’Accord, ce qui la vide de sa force juridique. Elle entend cependant faire le lien entre la reconnaissance dans le préambule « des impératifs d’une transition juste pour la population active et de la création d’emplois décents et de qualité conformément aux priorités de développement définies au niveau national » et les engagements pris au cours de la CoP : engagements des gouvernements (objectifs nationaux de réduction, promesses de financement), engagements des entreprises à la faveur de la CoP. La référence au contexte national est un autre détail qui pourrait tuer l’ambition du texte. En effet, de nombreux gouvernements prennent prétexte du contexte national pour éviter le dialogue sur les conditions d’une transition juste. La CSI encourage ses affiliés à revendiquer auprès des gouvernements et des entreprises une place dans les discussions sur la mise en œuvre des engagements des uns et des autres pour rappeler les impératifs de la transition juste.
En 2013, 22 millions de personnes ont été déplacées du fait des changements climatiques. La Banque mondiale estime que les changements climatiques feront exploser l’extrême pauvreté et que, si les coûts de l’inaction climatique sont incommensurables, ceux de l’action sont somme toute endossables.
Dans son allocution samedi soir, la Secrétaire générale de la CCNUCC Christiana Figueres a rappelé le rôle crucial joué par la mobilisation de la société civile sur ces sujets. Celle-ci se caractérise notamment par sa capacité grandissante de mobilisation et par la cohérence de son approche du climat : pressions pour obtenir des politiques ambitieuses pré-2020, campagne de « décarbonisation » des portefeuilles financiers, lien avec les négociations en cours sur le traité transatlantique, etc. C’est une donnée que les Etats doivent prendre en compte s’ils veulent conserver leur légitimité en tant que garants de l’intérêt général.
Natacha Seguin