Compte pénibilité : où en est-on ?
Une simplification qui passe par l’évaluation collective des expositions
Les derniers décrets d’application du C3P sont entrés en vigueur début 2016. Ils font suite à la loi du 17 août 2015 sur le dialogue social. Conformément aux propositions du rapport Sirugue, Huot, de Virville, celle-ci a reporté l’entrée en vigueur de six facteurs de pénibilité de janvier à juillet 2016, et introduit des éléments de simplification et de sécurisation.
Le C3P a déjà connu plusieurs précisions et adaptations (pour son fonctionnement, lire ici). La mission de Virville, lancée dans la foulée de la loi sur les retraites de 2014, s’est focalisée sur une mise en œuvre opérationnelle devant rechercher la simplicité maximale du dispositif. Pour chacun des dix facteurs de pénibilité, des seuils d’exposition ont ainsi été déterminés en termes d’intensité et de durée. Pour éviter la complexité d’un suivi individuel, une évaluation collective des expositions a été instaurée. Celle-ci peut s’effectuer à partir des types de postes, ou de situations de travail, identifiés dans l’entreprise ou dans un accord de branche étendu.
La loi sur le dialogue social (LDS) permet désormais aux entreprises, pour déterminer l’exposition aux facteurs de pénibilité, de se référer à des référentiels professionnels de branche homologués par arrêté ministériel. Cette homologation les rend opposables. Dans ces référentiels, ainsi que dans les accords de branche étendus, il pourra dorénavant être fait référence aux métiers (et non plus aux seuls postes et situations de travail).
La LDS remplace la fiche individuelle de prévention des risques professionnels par une déclaration des facteurs de risques à la CNAV/CARSAT, via la déclaration annuelle des données sociales (DADS). Cette fiche était un document administratif de traçabilité des expositions, remis annuellement au salarié, qui devait être transmis annuellement à la caisse de retraite. Sa contestation potentielle par le salarié était d’autant plus forte que, jusqu’à la parution des décrets, les évaluations au niveau de la branche étaient difficilement opérantes (voir rapport Sirugue, Huot, de Virville).
Ces adaptations s’inscrivent dans la logique de construction progressive d’un dispositif de compensation de la pénibilité. Depuis l’instauration du C3P par la loi sur les retraites de 2014, le gouvernement a cherché à faciliter la mise en œuvre de ce dispositif pour les entreprises sans mécontenter les syndicats. L’enjeu était de permettre une appropriation par les entreprises afin qu’il puisse devenir effectif. C’est dans cette même logique que la ministre des Affaires sociales a annoncé en janvier une mission « destinée à suivre et évaluer l’insertion du compte pénibilité dans notre système de protection sociale».
Toujours la même incertitude autour du coût du C3P
Au discours récurrent sur la complexité, dont le patronat est lui-même en grande partie responsable (lire ici), s’est ajouté un débat sur le coût du dispositif, suite à la parution, fin janvier, d’une étude de COE-Rexecode. Celle-ci retient un scénario central, dans lequel 18,6% des salariés du secteur privé seraient concernés par la pénibilité. Il s’agit du chiffre de l’étude d’impact du projet de loi sur les retraites avant la fixation des seuils. Elle reprend également à l’identique la part des salariés soumis à une mono et à une polyexposition. Elle n’apporte donc aucune information nouvelle sur le nombre de salariés potentiellement concernés et leur degré d’exposition.
Le coût du C3P est alors évalué à 1,7 milliard en 2030 et 3,3 milliards d’euros en 2040, contre respectivement 2 et 2,5 milliards dans l’étude d’impact. L’écart s’explique par des choix méthodologiques différents (ceux de l’étude d’impact n’ayant pas été rendus publics).
L’étude présente ensuite des variantes montrant que le nombre de salariés exposés aux facteurs de pénibilité pourrait être plus important. Mais elle n’envisage pas l’hypothèse inverse, qui aurait abouti à un coût moindre que celui du scénario central. Une telle hypothèse n’est pourtant pas à exclure, comme l’a indiqué le rapport Sirugue, Huot, de Virville « les fédérations [professionnelles] auditionnées par la mission ont fait état de certaines simulations sur l’exposition pouvant apparaître a priori excessives au regard du niveau élevé retenu pour des seuils d’exposition ». Ce rapport revient sur les seuils des facteurs de pénibilité, et montre en quoi ils sont élevés.
Compensation de la pénibilité : la contrepartie de l’allongement de la durée de cotisation
Au-delà de cette discussion sur le coût, il convient de rappeler que la compensation de la pénibilité constitue l’une des contreparties de la réforme des retraites de 2003. Celle-ci se noue autour du compromis suivant : la durée d’assurance sera soumise à une règle d’allongement automatique (toute augmentation de l’espérance de vie à 60 ans doit être partagée entre un tiers de ce gain passé à la retraite et deux tiers passés en activité), mais une compensation sera accordée pour les salariés qui ont commencé à travailler très tôt, et pour ceux qui ont une espérance de vie plus faible. Les conditions de travail apparaissent comme le facteur lié à la carrière professionnelle qui limite le plus l’espérance de vie. Dès lors, la prise en compte de la pénibilité s’impose dans le débat social. Au niveau politique, ce principe fait consensus (voir Retraites : quelle nouvelle réforme ?).
L’existence d’une compensation de la pénibilité par le système de retraite n’est d’ailleurs pas nouvelle. Un âge de la retraite plus élevé (65 ans jusqu’à l’abaissement à 60 ans en 1982) a toujours donné lieu à un dispositif de compensation de la pénibilité. Dès la création de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) en 1945, un départ à 60 ans, au taux plein de l’époque, était possible pour les salariés ayant effectué 20 ans de travaux pénibles (selon une liste fixée par décret). Par la suite, ces conditions ont été assouplies par la loi du 30 décembre 1975 relative aux conditions d’accès à la retraite de certains travailleurs manuels (lire ici).
Une intégration inévitable dans le CPA
Les débats sur le C3P, et son retrait souhaité par le patronat, prennent une autre dimension avec ceux sur le CPA. L’inclusion du C3P dans le CPA apparait comme une nécessité. Comment instaurer le CPA si les droits qui doivent en constituer le socle n’en font pas partie ? Si le périmètre de celui-ci fait débat, la logique de la sécurisation des parcours professionnels fait que le socle de droits devrait, au moins, être, constitué du CPF et du C3P (auxquels s’adjoindraient le CIF, le compte épargne temps et l’épargne salariale), comme l’a indiqué le rapport de France Stratégie sur le sujet.
Le C3P joue un rôle crucial dans l’élaboration du CPA, pour plusieurs raisons :
– Le CPF et le C3P sont des droits qui peuvent être mobilisés par les personnes pour se former, et sont, par conséquent, susceptibles de favoriser des évolutions professionnelles.
– Ce sont des comptes personnels qui assurent la portabilité des droits et leur rattachement aux personnes, ce qui constitue l’essence même du CPA.
– Le C3P est l’exemple le plus achevé de droits fongibles, ce qui est recherché pour le CPA. Les points acquis au titre de la pénibilité peuvent en effet être utilisés sous différentes formes : heures de formation professionnelle pour accéder à un emploi moins ou non exposé ; période de temps partiel avec compensation salariale ; trimestres de retraite pouvant permettre un départ avant l’âge d’ouverture des droits.
– Le Fonds de financement du CPA pourrait s’inspirer du fonds chargé du financement des droits liés au C3P.
Jusqu’ici, le socle de droits était consensuel parmi les partenaires sociaux. Pour la négociation du 14 décembre, la délégation patronale avait fait une synthèse des propositions des partenaires sociaux sur le CPA. Celle-ci rappelle que le C3P faisait partie des consensus. Mais depuis le début de l’année, la position du patronat n’est pas claire. Dans sa position commune, rendue publique le 26 janvier, il avait refusé d’intégrer le C3P dans le CPA (et refusé la fongibilité entre les différents droits). Les syndicats ont unanimement dénoncé ce revirement. Le patronat a alors réintégré le C3P dans sa deuxième version du 9 février, mais cette position doit être validée par le Medef, dont une partie refuse toujours d’envisager la pérennité du C3P.
Malgré les assouplissements apportés à ce dispositif, le patronat y reste opposé dans son principe. C’est cohérent avec la position qu’il défend depuis la négociation interprofessionnelle 2005-2008 sur la pénibilité. Ça l’est moins avec la logique d’un allongement de la durée de cotisation, compensé par une prise en compte de la pénibilité.
Antoine Rémond