Brexit : quels risques pour l’Europe ?
Deux horizons temporels doivent être distingués pour envisager les effets du Brexit :
– A court terme, le résultat du référendum aura des conséquences directes sur l’activité économique. Au Royaume-Uni, l’incertitude autour du calendrier de négociations et la chute brutale de la livre sterling, qui pénalisera le pouvoir d’achat et poussera l’inflation à la hausse, sera néfaste sur la consommation privée et l’investissement. En Europe, les exportations devraient pâtir d’une baisse de la demande britannique (zone euro, Suède).
– A long terme, les conséquences de la sortie du Royaume-Uni sur ses relations économiques et financières avec ses anciens partenaires de l’UE dépendront de ses modalités. Plusieurs possibilités existent, qui vont d’une sortie en douceur par un accord préservant l’accès au marché unique du Royaume-Uni, à une rupture plus brutale que constituerait un fonctionnement basé sur les règles de l’OMC.
Le Brexit suscite trois types de risques : un risque commercial, des risques monétaires et financiers, des risques institutionnels.
Un risque commercial important pour le Royaume-Uni et certains de ses partenaire de l’UE
Le poids de l’économie britannique en fait un partenaire commercial majeur pour l’Union européenne. Inversement, la part de l’Union européenne représente près de la moitié des débouchés aux exportations britanniques. D’un côté comme de l’autre, un ralentissement des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et les autres membres de l’Union européenne serait un frein à la croissance.
Commerce extérieur du Royaume-Uni avec ses 10 principaux clients et fournisseurs
Côté Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas et la France constituent des partenaires (en tant que clients aussi bien qu’en tant que fournisseurs) importants en raison de leur taille économique. Côté Union européenne, le Royaume-Uni représente une part importante dans le commerce extérieur de l’économie irlandaise, particulièrement exposée au risque commercial que constitue la sortie du Royaume-Uni de l’UE, et dans une moindre mesure de l’économie belge.
Risques monétaires et financiers : une surprise, pas une catastrophe
Le résultat du référendum britannique a provoqué une onde de choc sur les marchés financiers, qui témoigne de la surprise des opérateurs de marché. Sur les différents marchés de capitaux, ces réactions se sont matérialisées par la chute de la livre sterling, la baisse des marchés d’actions, et une divergence entre les taux souverains en Europe.
– Les taux de change
Depuis que l’issue du référendum est connue (24 juin), la livre sterling s’est fortement dépréciée par rapport au dollar, passant de 1GBP = 1,5 USD avant le résultat du référendum à 1GBP = 1,33 USD le 28 juin.
Par rapport à l’euro, également fragilisé, la dépréciation a été plus contenue, de 1GBP = 1,31 EUR à 1 GBP = 1,21 EUR. La livre sterling est revenue au niveau qui était le sien avant les annonces d’assouplissement quantitatif de la BCE en janvier 2015, période autour de laquelle la monnaie britannique s’était fortement appréciée par rapport à l’euro.
– Les marchés d’actions
Les principaux indices internationaux des marchés d’actions, notamment en Europe, ont essuyé de fortes baisses au lendemain du référendum au Royaume-Uni.
Le rebond des principaux indices boursiers internationaux entamé dès le 28 juin laisse à penser que l’ampleur de cette contraction est davantage le reflet d’une hausse de la volatilité des marchés de capitaux, occasionnée par la forte progression des montants de liquidités mise en circulation par les banques centrales, que le début d’un cataclysme financier. Ce mouvement s’inscrit dans la lignée des précédentes réactions qui ont eu lieu depuis un an au sujet de la croissance chinoise, du resserrement de la politique monétaire américaine, de la baisse excessive des prix pétroliers, et de la résurgence de la crise grecque.
– Les taux longs souverains
Concernant les taux longs souverains européens, les évolutions ont été très différenciées selon la qualité de signature des émetteurs de dette publique.
Dans un premier temps, on a assisté à une divergence entre les taux longs souverains des économies « cœur » de la zone euro (Allemagne, France, Pays-Bas, Belgique, Autriche) et du Royaume-Uni, qui ont baissé, et les taux longs des pays au cœur de la crise de dette européenne (Italie, Espagne, Grèce, Portugal, Irlande) qui ont augmenté. Le taux à 10 ans allemand est entré franchement en territoire négatif, après un bref passage il y a quelques semaines.
Plusieurs explications se superposent pour expliquer ces mouvements. Dans un premier temps, la qualité de signature est redevenue un critère d’allocation des capitaux, qui ont été redirigés vers les actifs financiers les plus sûrs, au bénéfice des pays cœur de la zone euro et du Royaume-Uni.
A cela, s’ajoute la confiance des investisseurs dans le soutien des banques centrales au financement de l’économie, par des programmes d’achats d’actifs déjà en œuvre qui pourraient être prolongés ou amplifiés, et une nouvelle baisse des taux directeurs, par ailleurs largement anticipée au regard de l’évolution des taux interbancaires (en baisse de 10 points de base pour le libor et l’euribor). Côté financement bancaire, des lignes de crédit pour les banques ont déjà été annoncées.
Dans un second temps, les taux longs des économies périphériques se sont détendus, profitant à leur tour des anticipations de soutien des autorités monétaires. En Espagne et en Irlande notamment, les rendements sont désormais plus faibles qu’avant le 23 juin. De leur côté, les taux italiens et portugais ont mis un peu plus de temps à rejoindre cette tendance baissière, et dans une ampleur plus faible.
En Espagne, la victoire Parti Populaire lors des nouvelles élections a été bien accueillie et a participé à la détente monétaire, bien que la formation d’un gouvernement nécessite toujours une coalition. En Italie, les annonces d’un possible soutien aux banques en difficulté ont également participé à ce mouvement de baisse des taux.
Sur certaines signatures, les anticipations de soutien des autorités monétaires ont pour l’instant à peine compensé la matérialisation du risque de scission de la communauté européenne (quand bien même le « brexit » ne concerne pas un membre de la zone euro). L’évolution des taux souverains en Italie et au Portugal (stables sur une semaine), ainsi qu’en Grèce (en hausse) montrent que ces craintes existent toujours.
Risques institutionnels : quels enjeux pour la gouvernance et le budget de l’Europe ?
L’implication du Royaume-Uni, entré dans l’Union européenne à l’occasion du premier élargissement en 1973, dans la construction de l’Union économique européenne n’est pas prépondérante. Le Royaume-Uni n’a pas pleinement pris part aux récentes réformes de gouvernance économique européenne et ne fait pas partie de l’espace Schengen.
Sa sortie verrait le départ d’un membre qui pesait davantage de par sa taille (et ses voix) que par son implication à créer les conditions d’une intégration toujours plus forte. Alors que le Royaume-Uni est le seul pays de l’Union européenne exclu du processus d’intégration monétaire, les réformes dans la gouvernance économique européenne ont avant tout concerné la zone euro. Seuls les Etats membres de la zone euro participent au Mécanisme Européen de Stabilité, qui a permis de pérenniser l’existence des fonds d’assistance temporaire mis en place au niveau de l’Union européenne.
Les développements de la crise de la zone euro ont poussé par ailleurs les institutions européennes à se doter d’un nouveau cadre de surveillance macroéconomique et budgétaire (sujet abordé à l’époque dans un billet de Jacky Fayolle). En octobre 2011, l’adoption du « six packs » par le Parlement européen a renforcé le pouvoir de contrôle de la Commission européenne sur l’ensemble des économies de l’Union européenne, et qui s’applique également au Royaume-Uni. Les règles concernant les pays non membres de la zone euro sont toutefois plus lâches. Les examens approfondis annuels pays par pays de la Commission européenne classent ainsi le Royaume-Uni parmi les pays n’ayant pas de déséquilibres économiques (l’Allemagne et l’Espagne ont des « déséquilibres », et la France et l’Italie ont des « déséquilibres excessifs »). Ce résultat est étonnant au regard de la persistance des déséquilibres des comptes publics et courants britanniques depuis plusieurs années. Enfin, le Royaume-Uni ne fait pas partie des membres de l’UE signataires du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG).
Le Royaume-Uni est le deuxième contributeur net au budget de l’Union européenne (8,6 milliards d’euros) malgré l’existence depuis 1984 du chèque britannique négocié par Margaret Thatcher. Ce mécanisme, régulièrement contesté par certains Etats membres, permet au Royaume-Uni d’obtenir un rabais sur sa contribution au budget de l’UE, au motif que la Politique agricole commune (PAC), qui en représente une part importante, lui est peu profitable. En cas de sortie, le rééquilibrage du budget européen sera donc un enjeu de taille. Plusieurs questions se posent. Quel sera l’arbitrage entre une baisse des dépenses totales et une hausse des contributions, et qui seront les gagnants et les perdants de ces nouvelles règles budgétaires ? La suppression du chèque britannique notamment, dont la France est le principal contributeur avec l’Italie, aura des conséquences très inégales sur les contributions nettes de chacun des pays membres, ce qui devrait faire l’objet de discussions.
Circonscrire les risques
Alors que dans les prochains mois, l’incertitude autour du calendrier de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne devrait générer un attentisme néfaste, ses conséquences économiques à long terme dépendront avant tout des accords qui règleront ses relations commerciales avec ses anciens partenaires.
Si la réaction des marchés financiers à l’issue du vote a semblé excessive, ses effets monétaires et financiers devraient toutefois impacter les économies européennes et britanniques, compte tenu de l’ampleur de la chute de la livre sterling et des mesures attendues de la part des banques centrales (programmes d’achat, taux directeurs).
Enfin, même si l’implication du Royaume-Uni dans le projet européen est historiquement relativement timide, sa sortie matérialise le risque de scission qui guettait il y a peu l’Europe, et notamment la zone euro.
Le principal enjeu pour les dirigeants européens réside désormais dans la gestion des risques suscités par le résultat du référendum britannique.
Clément Bouillet