Réforme du marché du travail : attention aux comparaisons internationales
Le déclenchement de la crise a plongé l’économie mondiale en récession en 2008-2009. Le rebond de l’activité observé en 2010-2011 a rapidement laissé place à un tassement de la croissance dans la plupart des économies européennes, qui évoluent depuis 2012 en ordre dispersé. Alors que le ralentissement de la croissance en Europe constitue un facteur important, d’autres facteurs entrent en jeu dans les récentes évolutions du marché du travail.
Taux de chômage et croissance en Europe, une divergence avérée
On peut globalement distinguer trois groupes de pays en termes de performances économiques en Europe :
– Les économies en crise. Plusieurs pays de la zone euro ont connu une situation de crise aigüe pendant la crise de dettes souveraines : Irlande, Portugal, Espagne, Italie, Grèce. On peut ajouter à cette liste le Danemark, déjà en proie à un ralentissement économique avant 2008 auquel se sont ajoutés l’éclatement de la bulle immobilière et le ralentissement des échanges intra-européens qui ont impacté ses exportations.
– Les économies au ralenti. Les pays cœur de la zone euro : Allemagne, France, Pays-Bas, Autriche. On peut ajouter le Royaume-Uni à cette liste, bien que ses performances en termes de croissance soient meilleures sur la période récente.
– L’exception : la Suède, malgré un environnement européen délicat. Elle affiche une croissance dynamique et des résultats excellents en matière d’emploi.
La crise économique mondiale puis la crise de la zone euro ont provoqué une divergence dans la dynamique d’activité entre les économies européennes. Cette divergence a eu des répercussions importantes sur le niveau de l’emploi et du chômage.
Depuis 2007, plusieurs économies européennes ont connu une forte hausse du taux de chômage, alors que d’autres ont mieux résisté, et que l’Allemagne a même enregistré une baisse. Les facteurs d’évolution du taux de chômage et de l’emploi sont nombreux et invitent toutefois à des interprétations prudentes.
Des ajustements très différents en matière de temps de travail et de productivité
On peut fournir deux explications à la déconnexion apparente entre le niveau du taux de chômage et le niveau de croissance économique :
– Le nombre d’heures travaillées dans une économie est le produit du nombre d’heures par personne et du nombre de personnes en emploi. Le produit intérieur brut est le produit de ce nombre d’heures travaillées et de la productivité apparente du travail. L’impact de la croissance sur la variation du volume de l’emploi dépend donc de deux autres facteurs : productivité et temps de travail moyen.
PIB = Nombre d’heures travaillées par personne x nombre de personnes en emploi x productivité apparente du travail
– L’impact de cette variation du volume de l’emploi sur le taux de chômage dépend ensuite de l’évolution de la population active. Celle-ci est la somme des chômeurs et des personnes en emplois. Elle évolue en fonction de la démographie : le nombre de personnes en âge de travailler évolue, auquel il faut ajouter la variation du nombre d’inactifs.
« Population en âge de travailler » = « inactifs + chômeurs + personnes en emploi »
Il en résulte que l’impact de la croissance sur le niveau du taux de chômage dépend des évolutions du temps de travail moyen, de la productivité et du volume de la population active.
Or, le temps de travail moyen et la productivité ont exercé une influence très importante depuis le début de la crise dans plusieurs pays.
Depuis 2007, les variables d’ajustement ont effet été très différentes entre les trois principales économies européennes : baisse du temps moyen en Allemagne, ralentissement du volume de l’emploi en France, stagnation voire recul de la productivité au Royaume-Uni. Cela confirme l’hétérogénéité déjà mise en évidence lors de la récession de 2008-2009. On notera aussi que si l’Italie a connu une chute du volume de l’emploi plus faible que les autres économies en crise, c’est au prix d’une stagnation de la productivité. A l’inverse, la chute du volume de l’emploi en Espagne s’est accompagnée d’un redressement de la productivité.
Des performances en termes de chômage qui s’expliquent par des écarts dans les évolutions de population active.
L’évolution de la population active a également eu un impact important durant la dernière décennie sur le taux de chômage, à la fois en raison de la variation du nombre de personnes en âge de travailler, mais aussi des proportions d’actifs/inactifs qui la composent.
La forte hausse du nombre de personnes sans emploi au Danemark (où le PIB est toujours inférieur à son niveau de 2015 malgré une évolution démographique favorable) et en Irlande est ainsi neutralisée dans l’évolution du taux de chômage par le basculement d’un grand nombre de personnes dans l’inactivité. Ces deux économies ont connu une forte chute du taux d’emploi.
En Allemagne, la baisse du taux de chômage tient également à des facteurs démographiques importants, avec un repli assez net du nombre de personnes en âge de travailler.
Au Royaume-Uni, la hausse du nombre de personnes en âge de travailler est totalement absorbée par la hausse du volume de l’emploi. L’économie britannique a réussi à enrichir sa croissance en emploi grâce à un recours plus important aux contrats atypiques, au détriment par ailleurs de sa productivité. En France, la structure du nombre de personnes en emploi, au chômage et inactives n’a pas connu de changement notable sur la période 2007-2016 au regard de la hausse du nombre de personnes en âge de travailler.
Des comparaisons en trompe-l’œil
La multitude des facteurs explicatifs (temps de travail moyen, productivité, variation du nombre de personnes en âge de travailler, proportion d’inactifs) dans l’évolution de l’emploi et du taux de chômage impose la plus grande prudence dans les comparaisons entre pays européens.
Les performances de certaines économies masquent parfois des fondamentaux mal orientés : Allemagne (baisse du temps de travail moyen et de la démographie), Royaume-Uni et Italie (stagnation de la productivité).
Une économie semble toutefois sortir clairement du lot : la Suède. Le PIB a progressé de plus de 10% entre 2007 et 2015. Le taux d’emploi et la productivité du travail ont augmenté (sans baisse du temps moyen de travail), et la démographie y est dynamique.
Clément Bouillet