L’élection de Donald Trump est-elle une bonne nouvelle pour l’économie américaine ?

En termes de croissance, l’économie américaine s’est montrée parmi les plus performantes des économies développées depuis 2009 (voir une évolution comparée ici), malgré l’essoufflement récent de l’activité et la perspective d’un affaiblissement durable de la croissance potentielle. Cet essoufflement semble traduire plusieurs faiblesses structurelles de l’économie américaine.

Même si nous ne connaissons pas encore précisément la politique économique que mènera la prochaine administration républicaine à partir de début 2017, les premiers éléments dont nous disposons permettent de s’interroger sur leur pertinence globale compte tenu de la situation de l’économie américaine.

Expansionnisme budgétaire : baisse d’impôts et grands travaux

La victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines ouvre une période d’incertitude sur l’orientation de la politique économique américaine. Les éléments dont nous disposons permettent toutefois d’en esquisser grossièrement les premiers traits.

Le futur président des Etats-Unis devrait mettre en place une politique budgétaire expansionniste. Comme c’est traditionnellement le cas lors de la victoire du camp républicain, cet expansionnisme budgétaire devrait dans un premier temps s’appuyer sur des baisses d’impôts. Pour les ménages, la baisse de l’impôt sur les revenus devrait bénéficier à l’ensemble des tranches de revenus. Quant aux entreprises, l’allègement de la fiscalité devrait se matérialiser par une baisse de l’imposition sur les bénéfices.

Dans un second temps, la relance budgétaire s’appuierait sur un plan de rénovation des infrastructures, dont Donald Trump a rappelé l’importance dès le 8 novembre dans le discours qui a suivi l’annonce de sa victoire. Ce plan (qui pourrait atteindre le montant de 1000 milliards de dollars) répond au besoin de remédier au vieillissement des infrastructures, notamment de transports, aux Etats-Unis.

Côté demande, l’économie américaine se caractérise par une forte dépendance à l’endettement (privé avant 2009, public entre 2010 et 2014, et public et privé depuis 2015), qui suit une trajectoire non soutenable et atteint aujourd’hui 46 000 milliards de dollars, et à une montée des inégalités de revenus. Le solde des comptes publics est toujours négatif même si les déficits ont diminué depuis 2009 (de 12% à 4% du PIB) et la dette publique continue d’augmenter. De son côté, l’endettement privé, notamment des ménages, mais aussi des entreprises depuis plusieurs trimestres sous l’effet de la baisse de leur profitabilité, augmente à nouveau.

Le programme de Donald Trump ne contient pas d’éléments notables qui renforceraient durablement la demande privée. En couplant les baisses d’impôts sur les revenus des ménages à un allègement de la fiscalité des entreprises, le nouveau président américain espère générer une dynamique de croissance et de recettes publiques selon un scénario optimiste qui rappelle les théories d’Arthur Laffer. Selon la courbe de Laffer, à partir d’un certain niveau de taxation, le rendement de l’impôt devient contreproductif car il provoque une réduction de son assiette. Donald Trump espère à l’inverse augmenter l’assiette de l’impôt grâce aux effets espérés de la baisse de la fiscalité aux ménages et aux entreprises.

A court terme, la mise en place de cette politique de baisse d’impôts devrait dynamiser la demande privée et la croissance dans les prochains trimestres, mais ne s’attaque pas à la montée des inégalités et à la polarisation du marché du travail. Ces baisses d’impôts auraient par exemple gagné en efficacité à être concentrées sur les plus bas revenus.

Le sujet du plafond de la dette publique américaine, qui avait fait l’objet de tensions en 2011 puis début 2013 avant d’être temporairement suspendu, pourrait resurgir rapidement et constituer un premier écueil aux plans du nouveau président. Il est peu probable que le camp républicain donne son aval à une forte hausse de l’endettement public.

Sur le marché du travail, la situation s’est globalement dégradée par rapport à son niveau d’avant-crise malgré le nouveau cycle de croissance entamé en 2010. D’un côté, le taux de chômage est inférieur à 5% aux Etats-Unis et les salaires accélèrent depuis plusieurs trimestres. D’un autre côté, le taux d’emploi reste nettement inférieur à son niveau d’avant crise du fait d’une hausse de l’inactivité, qui provient à la fois du vieillissement démographique et du découragement d’une partie de la population en âge de travailler (voir ce billet sur le blog de l’OFCE par exemple).

Sur ce point, la relance budgétaire imaginée par Donald Trump ne semble pas non plus adaptée à la situation américaine. La baisse du chômage et l’accélération des salaires traduisent des tensions que les Etats-Unis n’avaient plus connues depuis le début de la crise. Même si le taux d’emploi reste nettement en dessous de son niveau d’avant-crise, cela semble davantage traduire l’émergence d’un éloignement structurel d’une partie de la population active du marché du travail que les effets d’une conjoncture insuffisamment riche en créations d’emplois.

Côté offre, l’économie américaine fait face à un ralentissement de la productivité et les secteurs exposés connaissent des difficultés à affronter la concurrence internationale. Bien que la balance commerciale énergétique soit désormais quasiment à l’équilibre, les comptes extérieurs de l’économie américaine restent largement déficitaires.

Le lancement d’un plan de rénovation des infrastructures répond aux appels répétés des institutions internationales (OCDE, FMI) de renforcer la demande globale pour les Etats qui ont les marges de manœuvre nécessaires et au ralentissement de la productivité que nous avons évoqué.

Protectionnisme et durcissement de la politique migratoire

Sur le plan extérieur, les éléments sont plus flous. Donald Trump a adopté durant sa campagne un discours protectionniste, à l’encontre notamment de la Chine, fortement excédentaire dans sa relation commerciale avec les Etats-Unis et accusée de pratiquer une sous-évaluation de son taux de change. Lors de sa première interview en tant que président (diffusée dimanche 13 novembre), Donald Trump a en outre renouvelé son intention d’expulser plusieurs millions d’immigrés.

On peut d’ores et déjà noter que son élection a nourri une hausse des anticipations d’inflation aux Etats-Unis, qui ont brutalement remonté depuis son élection. La réunion de la Réserve Fédérale de décembre devrait déboucher sur une seconde hausse des taux directeurs (après décembre 2015). Dans ce contexte, les taux longs souverains US ont augmenté de près d’un demi-point depuis l’élection de Trump, se répercutant sur la signature des autres pays développés, mais aussi (et surtout) émergents. De même, les taux de change du dollar se sont appréciés. L’euro est revenu dans le bas de sa fourchette de variation des deux dernières années.

Par ailleurs, l’assèchement du volume de la main d’œuvre disponible si les menaces d’expulsions se concrétisaient provoquerait à court terme un renchérissement des salaires (et de l’inflation) mais priverait les Etats-Unis d’un levier de croissance important (la démographie). En outre, il ne répond pas à l’incapacité de l’économie américaine à générer une croissance suffisamment inclusive. Dans ces conditions, les départs massifs d’immigrés et l’imperméabilisation de la frontière américaine aux entrées devraient déboucher sur un tassement du volume de la main d’œuvre et renforcer les tensions qui existent déjà sur le marché du travail.

A plus long terme, le projet de renforcer la compétitivité de l’économie américaine par des mesures protectionnistes (hausse des droits de douane) pourrait se heurter à l’éclatement actuel des chaînes de production et être un processus très lent. En revanche, une telle opération pourrait entraîner rapidement une forte hausse des prix à la production, et par ricochet des prix à la consommation. Le renforcement des prix par la hausse de l’inflation importée ne constitue pas une réponse suffisante puisqu’elle grève les gains potentiels de chiffres d’affaires pour les entreprises par une hausse des coûts de production.

Reculer pour mieux sauter ?

Globalement, les grandes lignes du programme économique de Donald Trump ne semblent pas répondre aux principaux défis de l’économie américaine (dépendance de la demande à l’endettement, hausse de l’inactivité, déficits commerciaux persistants, difficultés des secteurs industriels, etc.).

L’impulsion fiscale dynamisera probablement la croissance, l’inflation et les salaires à court terme mais devrait se révéler insoutenable financièrement et ramener rapidement les Etats-Unis à la réalité de ses faiblesses structurelles. La mise en place d’un plan d’investissement, si elle devait se concrétiser, constitue toutefois une bonne nouvelle face à l’affaiblissement de la productivité, mais aurait gagné à être accompagnée d’un renforcement pérenne de la demande privée.


Clément Bouillet