Les cadres, entre remise en cause de leur statut et révolution numérique

De plus en plus d’individus exercent une profession intellectuelle ou de management. Les cadres représentent aujourd’hui 9,1% de la population active et 4,1 millions d’individus. Cette progression a résulté de la tertiarisation, de la féminisation, puis de la polarisation de l’emploi. L’automatisation conduit à un remplacement des emplois répétitifs par les technologies numériques, donc à une baisse de la demande de travail pour ce type d’emplois, et à une augmentation de la demande de travail pour les emplois non-répétitifs, surtout très qualifiés. Pourtant, l’identité cadre se trouve fragilisée et les cadres s’interrogent sur leur statut. La Lettre du CEP n°24 montre que l’évolution de l’organisation du travail justifie le maintien d’un statut spécifique pour les cadres.

L’identité cadre fragilisée, doutes sur le statut

Certains éléments constitutifs d’une identité cadre sont remis en cause et conduisent les cadres à s’interroger sur les fondements et la pérennité de leur statut. 52% des cadres jugent ainsi que celui-ci est en voie de banalisation. Jusqu’à aujourd’hui, le statut cadre reposait sur quatre piliers : (1) l’adhésion à l’AGIRC, (2) une section/collège spécifique aux Prud’hommes et aux élections des DP et CE, (3) un service de l’emploi dédié avec l’APEC et (4) une prévoyance décès plus avantageuse.

L’AGIRC est amenée à disparaître lors de sa fusion avec l’ARRCO (Association de retraite des régimes complémentaires), prévue au 1er janvier 2019. La valeur symbolique de ce régime spécifique est forte car il a profondément structuré l’identité cadre. L’AGIRC était le symbole de l’inclusion des cadres dans le salariat et l’existence d’une caisse de retraite spécifique a constitué un cheval de bataille historique pour la CFE-CGC.

Les cadres sont confrontés aux difficultés du marché du travail. Les promotions à la catégorie cadre sont remises en cause aujourd’hui au profit d’une accession par le diplôme. Aux âges intermédiaires, l’accès au statut de cadre par l’expérience professionnelle est aujourd’hui moins probable que dans les années 1980. Les cadres vivent également des situations de déclassement. Chaque année, près de 10% de ceux du secteur privé estiment être déclassés, c’est-à-dire employés dans un groupe socio-professionnel moins élevé. Ce phénomène concerne surtout les femmes, notamment les jeunes, et intervient lors d’un changement d’entreprise, y compris lorsqu’il fait suite à un emploi en CDI.

Les cadres ne sont pas non plus épargnés par l’instabilité de l’emploi. Même s’ils restent davantage protégés du chômage que d’autres catégories professionnelles, ils subissent de plus en plus de transitions professionnelles, et les jeunes diplômés rencontrent davantage de difficultés qu’auparavant pour s’insérer sur le marché du travail (contrat précaire, salaire relatif plus faible et plus de difficultés à devenir cadre).

Le statut de cadre, qui s’était traduit par l’inclusion des cadres dans le salariat, est fragilisé par l’extérieur du salariat, avec la progression des nouvelles formes d’emplois comme le régime de l’auto-entrepreneur ou le portage salarial. Néanmoins, ces nouveaux statuts ne sont pas sans risque économique (dépendance financière) et juridique pour les cadres, avec une possibilité de requalification de l’indépendant en travailleur salarié.

L’organisation du travail des cadres bouleversée par le numérique

Le numérique tend à modifier l’environnement et l’organisation du travail des cadres, même si la nature et l’horizon temporel des bouleversements ne sont pas encore clairement identifiés par tous. Le recours croissant aux outils numériques (ordinateur, tablette et smartphone), même s’il permet davantage d’autonomie, notamment par le télétravail, rend aussi de plus en plus poreuse la frontière entre vie professionnelle et personnelle. Et pose la question de l’effectivité du repos. La qualité de vie au travail est désormais devenue un enjeu central pour les cadres.

Le numérique pousse également les cadres managers à adapter leur activité de management. Dans un contexte où les formes d’emploi et de travail sont de plus en plus variées, leur rôle est renouvelé, orienté vers l’animation des équipes, le développement du travail collaboratif et des nouveaux modes de coopération. Mais, dans le même temps, les dispositifs organisationnels et les nouvelles technologies leur permettent un contrôle accru de l’activité et du rythme de travail des cadres.

Les cadres sont confrontés à des problématiques spécifiques et croissantes d’autonomie et de gestion. Un statut spécifique pour les cadres se justifie donc par l’organisation du travail. Celui-ci doit évoluer et déboucher sur l’instauration de nouveaux droits afin de prendre en compte les différents aspects de la réalité du travail des cadres.


Florine Martin