Une réforme de l’Assurance chômage pour une meilleure adaptation aux mutations en cours ?

Les enjeux de la réforme de l’Assurance chômage

Les principaux enjeux liés à l’évolution du système d’Assurance chômage ont trait :

– A son équilibre financier, l’institution présentant un déficit de 4 milliards d’euros et une dette de 33,8 milliards d’euros en 2016. Le gouvernement prévoit de faire 10 milliards d’économies sur l’Assurance chômage notamment grâce à un taux de chômage autour de 7% à la fin du quinquennat Macron, soit 2,4 points de moins et un taux plus jamais vu depuis 10 ans. Le retour à l’équilibre de l’Assurance chômage serait prévu pour 2020.

– Aux droits des demandeurs d’emploi : niveau des indemnités et mode de suivi ou d’accompagnement pendant la période de chômage, et extension aux mobilités professionnelles choisies et aux nouvelles formes d’emploi (notamment celles issues du mouvement de digitalisation de l’économie).

– A l’évolution globale du système vers un mode (plus) universel, ouvert à tous (avec montant similaire reçu par les indemnisés), tandis qu’un système assurantiel, tel qu’il existe aujourd’hui, repose sur une indemnisation qui est fonction des montants cotisés.

– Au mode de gouvernance de l’Unédic, en charge de l’Assurance chômage, basé sur un modèle paritaire avec pouvoir de regard de l’Etat. Dans les faits, l’Etat dispose en effet, grâce au mécanisme d’agrément, du pouvoir de contraindre et d’encadrer les négociations.

Une universalité sous conditions ?

Pour répondre aux évolutions du marché du travail, marquées notamment par une augmentation des transitions professionnelles et une progression des travailleurs indépendants, le gouvernement souhaite élargir l’Assurance chômage à de nouveaux publics (démissionnaires et indépendants). Cette universalisation de l’Assurance chômage constitue un changement profond avec la logique assurantielle. L’élargissement aux démissionnaires vise la mise en place d’un « filet de sécurité » pour les cas où le salarié souhaite quitter son emploi parce qu’il ne correspond plus à ses attentes. Mais il suscite des craintes de la part des partenaires sociaux. Il heurte notamment le principe d’indemnisation d’un préjudice ouvrant droit à son bénéfice. Il fait aussi craindre un effet d’aubaine qui pourrait se révéler très coûteux pour le régime. Un creusement du déficit de l’Unédic pourrait alors avoir pour conséquence une réduction des droits pour l’ensemble des demandeurs d’emploi. Toutefois, pour éviter les effets d’aubaine et circonscrire le coût de la mesure, cette nouvelle indemnisation serait limitée à une fois tous les 5 ans et contingente au nouveau projet professionnel.

Le bien-fondé de cet élargissement est par ailleurs discuté, certains démissionnaires étant déjà indemnisés avec le système actuel s’ils remplissent l’un des quinze motifs légitimes ou après quatre mois de chômage et accord de Pôle Emploi. L’élargissement pourrait consister alors à réduire le délai de carence ou à renforcer les motifs légitimes.

Quant à l’élargissement de l’Assurance chômage aux indépendants, il apparaît complexe du fait de la diversité des situations et des populations rencontrées, et des nombreux risques de « fraude » possibles évoqués par l’IGAS et l’IGF. Les chefs d’entreprises ont déjà la possibilité de cotiser pour le chômage, s’ils le souhaitent. Les artisans et professions libérales sont sceptiques sur la possibilité d’une cotisation supplémentaire. Enfin, pour les personnes exerçant via les nouvelles plateformes de travail, il faut distinguer les activités professionnelles de celles qui ne le sont pas (activités ne générant qu’un complément de revenu).

Les travailleurs indépendants économiquement dépendants d’un donneur d’ordres  ou travaillant sur des plateformes à distance, ont des conditions de travail différentes d’un salarié traditionnel, mais présentent des rapports de subordination et de dépendance économique, qui pourraient justifier leur intégration dans le régime général d’Assurance chômage.

L’extension du régime d’Assurance chômage aux indépendants, comme pour les démissionnaires, suscite ainsi des craintes concernant l’équilibre financier, du moins dans un dispositif qui serait unique à tous. Devant ces difficultés, un scénario à l’étude viserait à mettre en place une indemnisation forfaitaire, de 700 à 800 euros par mois, sur une durée de six mois à un an réservée aux entrepreneurs ayant fait faillite. L’idée est d’offrir une sécurité d’un montant supérieur au RSA, mais pas un revenu de complément comme pour les salariés.

Gouvernance et mode de financement du système

Concernant la gouvernance de l’Unédic, les réformes devraient conduire à une gestion dans laquelle le rôle de l’État serait davantage affirmé. L’objectif semble être de définir clairement les responsabilités des différents acteurs pour une meilleure gouvernance de l’Assurance chômage. Les partenaires sociaux (les cinq organisations syndicales et les trois organisations patronales représentatives), sont attachés au paritarisme dans la gestion de l’Unédic. Ils l’ont exprimé dans un communiqué commun le 24 juillet 2017, tout comme leur attachement au caractère assurantiel du système. Puis ils ont publié un socle de réflexion commun le 12 décembre 2017. Il convient de souligner que si le régime d’Assurance chômage devient (plus) universel et que les indemnités chômage sont plus déconnectées du statut sur le marché du travail (prestations non contributives), l’Etat a de facto un rôle à jouer plus important car une telle évolution exigera d’autres financements que les seules cotisations sociales sur les salaires du secteur privé. Selon un récent rapport de Terra Nova, une place plus importante de l’Etat pourrait se traduire par une évolution du système actuel vers : (i) un système de gestion paritaire avec cadrage étatique (ii) un système avec reprise en main étatique de la gestion, sans exclure la possibilité de système « hybride ».

La réforme du financement consisterait à supprimer, en deux temps à partir de 2018, les cotisations chômage versées par l’ensemble des salariés au profit d’une hausse de la CSG (+1,7%), dont l’assiette est plus large. D’après le gouvernement, les recettes collectées pour l’Assurance chômage seraient identiques. Cependant, certains acteurs craignent une baisse des recettes qui dégraderait le solde financier du régime ainsi que celui de Pôle Emploi, bénéficiaire de 10% des contributions. Les prestations devenant non contributives, certains statuts (notamment les revenus moyens et supérieurs) craignent une baisse des allocations.

Un clivage syndicats-patronat autour du bonus-malus 

Si les cotisations patronales sont maintenues, un système de bonus-malus pourrait être instauré pour faire payer davantage les sociétés qui multiplient les contrats courts et coûtent davantage à l’Assurance chômage. Au lieu d’une cotisation unique à 4,05%, les sociétés pourraient ainsi se voir appliquer des taux de cotisation allant de 2% pour les plus vertueuses à 10% pour les autres. En responsabilisant les entreprises, ce système est censé contribuer à la baisse du chômage. Cette idée avait déjà été avancée par plusieurs syndicats (FO, CFDT, CFTC) lors de la négociation de la dernière convention d’Assurance chômage en début d’année 2017, mais le MEDEF s’y oppose fortement. Le gouvernement ouvre de nouveau la négociation aux partenaires sociaux afin qu’ils trouvent une solution permettant de réduire le nombre de contrats courts (durée inférieure à un mois). Le bonus-malus n’est pas imposé d’emblée car il agite les partenaires sociaux. Les syndicats sont plutôt enthousiastes, comme la CFDT ou FO, la CGT est plus nuancée puisqu’elle est pour le principe du malus mais contre celui du bonus (estimant que les sociétés disposent de suffisamment d’aides). Le patronat juge la mesure contreproductive. Cela change en effet la manière dont le système global est considéré, avec des entreprises plus vertueuses qui paient pour les moins vertueuses d’une certaine manière : l’introduction d’un bonus-malus constituerait de ce point de vue certainement un « obstacle » pour les secteurs utilisant intensément des contrats courts. En particulier, le Groupement des Professions de Services (GPS) trouve la mesure « inacceptable ». L’Umih, principale organisation du secteur de l’hôtellerie y est également opposée. Pour l’Union des entreprises de proximité (U2P), il faudrait exonérer les sociétés de moins de 20 salariés. Le principe s’inspire notamment des travaux de Pierre Cahuc et Corine Prost qui préconisent que chaque entreprise devrait disposer d’un compte qui enregistre ses cotisations et les sommes versées aux demandeurs d’emploi provenant de cette entreprise : ce système aurait le mérite de responsabiliser les entreprises en modulant les cotisations patronales à l’Assurance chômage en fonction du coût induit par l’entreprise pour l’Assurance chômage.

L’objectif des réformes à venir étant d’agrandir l’éventail des personnes couvertes, des contreparties passeraient notamment par un contrôle accru des chômeurs indemnisés (Pôle Emploi pourrait ainsi y consacrer 1 000 agents supplémentaires). Un renforcement du contrôle est contesté par certains observateurs, se fondant en particulier sur les données de Pôle Emploi qui montrent que la très grande majorité des demandeurs d’emploi est active, ce qui rend discutable la pertinence d’accroître les contrôles.

Quel effet de la réforme prévue ?

Les réformes précédentes de l’Assurance chômage s’inscrivaient dans un objectif de réduction des déficits. La réforme actuelle se veut plus ambitieuse. Le mode de financement va être profondément transformé (CSG, bonus-malus). A partir de là, l’enjeu est de définir les conditions d’un élargissement soutenable financièrement. La contrainte budgétaire limite l’ampleur de l’universalisation mais ne tranche pas complètement la question de la nature du régime après la réforme : assurantiel ou solidaire.  Au niveau financier, l’objectif est le retour à l’équilibre, puis à un solde excédentaire (prévu en 2022). La révision à la hausse des perspectives de croissance crée un contexte favorable. Mais l’atteinte de cet objectif sera, au-delà de la conjoncture, contingent de l’effet des autres réformes impulsées par le nouveau gouvernement, dont celle à venir, de la formation professionnelle : l’adéquation des offres et demandes d’emploi reste en effet mal assurée dans notre pays, dans un contexte démographique maintenant le système d’emploi sous pression.

Guillaume Assémat, Jérôme Didry, Nicolas Fleury