Accord dans la métallurgie allemande : réduction individuelle du temps de travail ou accroissement des heures supplémentaires ?

Des revendications à l’accord : illustration d’une stratégie syndicale

IG Metall a décidé de faire du temps de travail une de ses revendications majeures. Le niveau historiquement bas du chômage a sans doute joué un rôle favorable à cet égard. Le syndicat a élaboré ses revendications construites à partir d’une vaste enquête, menée début 2017, à laquelle ont répondu 680 0000 salariés issus d’environ 7 000 entreprises, ce qui en fait l’enquête la plus importante réalisée en Allemagne.

Accord dans la métallurgie allemande : réduction individuelle du temps de travail ou accroissement des heures supplémentaires ?

A partir des résultats de cette enquête, IG Metall a martelé que les heures de travail basées exclusivement sur des emplois à temps plein excluent les mères et les pères qui veulent consacrer du temps à l’éducation de leurs enfants sans abandonner leur travail et un salaire décent. Elles excluent les personnes qui ont des problèmes de santé ou qui veulent arrêter plus tôt à cause de leur âge. Elles limitent les personnes qui ont besoin de temps pour actualiser leurs connaissances et leurs compétences afin de suivre les progrès numériques en milieu de travail.

Dans les faits, les grandes entreprises mettent déjà en œuvre des mesures permettant de concilier vie professionnelle et vie privée : horaires postés décalés pour permettre aux parents de déposer leurs enfants à la crèche ou à l’école, création de postes destinés à des remplacements de collègues indisposés, ciblage d’une partie des comptes épargne-temps pour la famille et la formation continue, etc. (pour d’autres exemples, lire l’analyse de Thomas Schnee).

Mais de telles pratiques n’ont pas cours dans la grande masse des petites entreprises. De manière générale, les salariés ont seulement la possibilité de passer à temps partiel, mais il n’existe aucun droit automatique à un retour à temps plein. C’est pourquoi, IG Metall a revendiqué une réduction individuelle temporaire du temps de travail à 28 heures. Pour qu’elle soit accessible à tous, et ne pénalise pas ceux qui ne pourraient pas supporter la baisse de revenu en résultant, IG Metall a demandé une compensation de 200 euros  par mois pour les travailleurs postés et les salariés ayant des enfants en bas âge ou des parents dépendants. Parallèlement, IG Metall a demandé une augmentation de salaire de 6%. Le précédent accord salarial, d’une durée de 21 mois, et qui s’est achevé en décembre 2017, avait débouché sur une augmentation de 4,8% des salaires et le versement d’une prime unique de 150 euros.

Les négociations avec le patronat ont été tendues car celui-ci était opposé à la fois à la compensation de 200 euros ainsi qu’à la réduction individuelle temporaire du temps de travail, estimant qu’elle renforcerait la pénurie de main d’œuvre constatée dans certains secteurs et régions. IG Metall a alors eu recours à des grèves de 24 heures, une forme inédite dans la métallurgie allemande. Celles-ci ont été massivement suivies et un accord a finalement été trouvé le 6 février.

Un accord qui combine réduction individuelle temporaire et augmentation collective du temps de travail

L’accord a une durée de 27 mois. Il instaure la possibilité d’une réduction individuelle temporaire du temps de travail de 35 à 28 heures hebdomadaires (RTT de 20%) pour une période allant de 6 à 24 mois, renouvelable mais pas immédiatement, dans la limite de 10% de l’effectif de l’entreprise.

Il prévoit une augmentation salariale de 4,3% à partir du 1er avril 2018 et une hausse en deux temps d’autres éléments de rémunération :

– Un versement unique de 100 euros pour la période janvier-mars 2018 (70 euros pour les apprentis)

– Le versement d’un supplément équivalent à 27,5% du salaire mensuel moyen (1 454 euros), soit 400 euros sera versé à tous les salariés au 1er juillet 2019. Pour les salariés ayant un enfant de 8 ans au plus et pour ceux exerçant des activités très pénibles, à la place de ce versement de 400 euros, il sera possible de prendre 8 jours de congés supplémentaires. Pour bénéficier de cette mesure, les travailleurs postés devront justifier d’une ancienneté située entre 5 et 15 ans selon le type d’horaires pratiqués.

Pour les entreprises, l’accord permet une augmentation possible du temps de travail de 35h à 40h, sur la base du volontariat, pour une part accrue de salariés (50% de l’effectif, contre 18% jusqu’ici), l’objectif étant de permettre aux entreprises de pallier le manque de compétences.

La réduction individuelle temporaire du temps de travail : quelle réalité ?

La vraie nouveauté de l’accord du 6 février est un droit au retour à temps plein pour les salariés ayant réduit temporairement leur temps de travail. Ce principe était vivement contesté par le patronat, pour lequel les raisons sociales de la réduction du temps de travail étaient une question de politique sociale et non de conventions collectives.

En revanche, la compensation de 200 euros par mois pour les travailleurs postés et les salariés ayant des enfants en bas âge ou des parents dépendants, demandée par IG Metall pour que la RTT à 28h bénéficie à tous, a été vivement combattue par les employeurs et n’a pas abouti. Deux éléments ont motivé leur refus : le coût d’une telle mesure (près de 14% du salaire mensuel moyen pour une RTT de 20%, soit une quasi compensation pour les salaires les plus faibles) et le risque juridique, cette mesure pouvant être perçue comme une source de discrimination. Le versement unique de 400 euros est bien loin de ce niveau, notamment parce qu’il bénéficie à tous. Mais surtout, déconnectée de la réduction individuelle du temps de travail, la mesure n’est pas de même nature que celle revendiquée par IG Metall. Elle révèle la difficulté à compenser des formes de réduction individuelle du temps de travail.

Dans ces conditions, la question de la réalité de la réduction individuelle temporaire du temps de travail à 28 heures se pose. L’enquête d’IG Metall rappelle que les préoccupations salariales restent une priorité pour la plupart des salariés. Par conséquent, il est possible que l’on assiste à des réductions du temps de travail limitées, particulièrement pour les salariés les moins payés, pour ne pas subir une baisse de rémunération trop marquée (au niveau du salaire moyen, l’augmentation de 4,3% représente un supplément de salaire mensuel d’environ 60 euros).

Les employeurs ont réussi à neutraliser les effets de cette réduction individuelle temporaire du temps de travail jusqu’à 28 heures sur le temps de travail moyen par salarié. Le calibrage de la mesure implique qu’il est peu probable que la limite de 10% de l’effectif réduisant son temps de travail jusqu’à 28 heures soit atteinte. Même si c’était le cas, le supplément d’heures supplémentaires résultant de l’accord reste théoriquement supérieur aux heures de RTT qui en découlent potentiellement. Et les corridors de temps de travail (bornes basses et hautes de la modulation), les comptes épargne-temps et les heures supplémentaires non payées (dont la progression au cours des dernières années est dénoncée par IG Metall) permettraient aux employeurs d’en limiter le coût. En revanche, le taux de chômage au plus bas depuis la réunification et la pénurie de main d’œuvre pour certaines compétences pourraient inciter les entreprises à accroître les heures supplémentaires.

En conclusion, l’accord signé est un accord salarial et de souplesse dans la gestion du temps de travail. Il apporte à l’organisation des temps de travail, sous deux dimensions : l’individualisation des pratiques (à la baisse comme à la hausse) et la gestion du temps de travail tout au long de la vie, selon les contraintes fluctuantes des salariés dans leur vie personnelle.

Antoine Rémond