Renégociation du dispositif d’activité réduite : une population de chômeurs voulant travailler plus
De l’augmentation des demandeurs d’emploi qui travaillent à l’invertitude sur le dispositif d’activité réduite
Le marché du travail actuel est notamment marqué par un taux de chômage élevé, une accélération de la fréquence des restructurations et des mutations économiques, et une segmentation croissante. Ces évolutions vont de pair avec une hausse de la proportion des emplois atypiques depuis une trentaine d’années (e.g. COE, 2014), notamment avec la montée de la proportion des emplois courts (CDD, intérim) et/ou à temps partiel. Ainsi, sur les dernières années, près de 9 embauches sur 10 s’effectuent en emplois courts (source : Dares). Cela génère de plus en plus de situations de demandeurs d’emploi récurrents, qui cumulent souvent droits à l’assurance chômage et activité.
Au cœur de la négociation sur l’assurance-chômage en cours, une économie de 3,9 milliards d’euros à réaliser sur trois ans est fixée par le gouvernement. Une des pistes prioritaires de discussion porte ainsi sur l’activité réduite, existant depuis 1986 et réformé plusieurs fois (notamment le calcul de la prestation en 2017). Un arbitrage pourrait être ainsi fait en faveur de nouvelles dépenses qui doivent trouver des sources de financement (droit à l’assurance chômage pour les indépendants et ouverture à plus de démissionnaires, ou contrôle renforcé des chômeurs). Le dispositif d’activité réduite est souvent suspecté d’entretenir la « permittence » (alternance de périodes de chômage et de contrats de durée limitée), en particulier par le recours aux contrats courts. Sur l’ensemble de la période 2008-2018, la hausse des catégories B et C (activité réduite à respectivement moins de 78 heures et plus de 78 heures par mois) est continue (cf. graphique). Or, ce ne sont pas nécessairement les contrats les plus courts qui ont le plus crû : le dispositif d’activité réduite concerne actuellement 2 192 800 personnes, avec en 10 ans, une augmentation de 312 500 bénéficiaires en catégorie B, contre + 841 020 en catégorie C.
Cette population des demandeurs d’emploi qui travaillent (catégories B et C, dispositif de l’activité réduite) est en forte croissance (+ 1 117 000 en 10 ans, données Pôle Emploi-Dares).
Evolution du nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A, B et C
Source : Pôle Emploi-Dares, données CVS-CJO
L’activité réduite, un effet tremplin plutôt qu’un enfermement dans la permittence
Les évaluations existantes de l’effet de l’activité réduite sur le retour à l’emploi (Granier et Joutard, 1999 ; Fontaine et Rochut, 2014 ; Fremigacci et Terracol, 2014) s’accordent sur un impact positif du dispositif sur le retour à l’emploi à long terme. Fontaine et Rochut (2014) ne trouvent pas cependant que l’activité réduite donne accès à des emplois de meilleure qualité (en termes de salaire ou de nombre d’heures de travail). Ces résultats et l’absence d’étude sur données plus récentes, et surtout prenant en compte l’effet différencié de l’activité réduite selon les trajectoires professionnelles passées des chômeurs, indiqueraient, comme l’analysent certains observateurs, que le lien souvent suspecté entre activité réduite et permittence n’est pas démontré (cf. ce point de vue de Xavier Joutard du LEST et de l’OFCE). Certains arguments pour la suppression ou l’adaptation du dispositif reposent ainsi en grande partie sur la très forte croissance du nombre de bénéficiaires du dispositif et de son coût (5,4 milliards d’euros), plus que sur son effet global positif sur le retour à l’emploi. C’est pourquoi la question mérite de s’arrêter sur les caractéristiques, les souhaits, les comportements de recherche d’emploi et les besoins d’accompagnement de ces demandeurs d’emploi.
Une étude qualitative de l’Unédic et du Crédoc (2014) sur les demandeurs d’emploi qui travaillent a notamment montré que le CDI reste souvent un idéal qui leur permettrait de quitter une situation de précarité. Elle signalait aussi un sentiment de délaissement de ces demandeurs par Pôle Emploi malgré des besoins exprimés pour un retour vers un emploi plus durable. Plus récemment, une étude statistique sur un échantillon représentatif de ces demandeurs d’emploi permet de mieux cerner cette population (synthèse de cette étude).
Un niveau de vie modeste des « allocataires qui travaillent » malgré des caractéristiques proches de l’ensemble des allocataires
L’enquête quantitative sur les allocataires qui travaillent a été réalisée auprès de 5 000 personnes qui ont travaillé au moins une heure au mois de juin. En termes de profil, l’étude réalisée apporte un élément intéressant quoique peut-être contre-intuitif : les allocataires qui travaillent présentent des caractéristiques proches de l’ensemble des allocataires (âge, genre, région, niveau de diplôme).
La population des demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi a un niveau de vie significativement modeste, avec une part très importante qui vit dans la pauvreté, malgré une indemnisation qui peut servir de « filet de sécurité ». En effet :
‒ 90 % des personnes de l’échantillon ont un niveau de vie « inférieur au niveau de vie médian (1710 €) » et 40 % de l’échantillon vit en-dessous du seuil de pauvreté.
‒ 45% des allocataires qui travaillent sont indemnisés (en moyenne, cette allocation s’élève à 500 € mensuels).
Il est également à noter que les bénéficiaires du cumul ne connaissent pas mieux la règle que ceux qui ne sont pas indemnisés.
Une forte présence de contrats précaires et une préférence nette pour le CDI et le temps plein
Si la nature et la durée des emplois des allocataires au chômage sont très diverses, seuls 20 % des allocataires de l’échantillon sont en CDI, 12 % étant à temps partiel (graphique). 70 % de cette population est en CDD ou en intérim (29 % étant en contrats de moins de 31 jours). Par ailleurs, cette population est marquée par un taux de réembauche très important (59 %).
Contrats exercés par les allocataires qui travaillent
Source : Bureau de l’Unédic, octobre 2018
Par ailleurs, en termes de statut d’emploi, une majorité des allocataires qui travaillent souhaitent travailler plus, avec une préférence pour le CDI et des contrats à temps plein. En effet :
‒ Deux tiers des demandeurs d’emploi qui travaillent moins d’un temps complet en juin auraient souhaité travailler plus.
‒ Deux tiers également des demandeurs d’emploi en CDD ou intérim préféreraient être en CDI. Par ailleurs, 80 % des personnels actuellement en CDI à temps partiel accepteraient de passer à temps plein ; 20 % selon certaines conditions (salaires, conditions de travail).
L’accompagnement vers un retour à l’emploi durable, une variable clé ?
La population des demandeurs d’emploi qui exercent également une activité présente donc une forte précarité, marquée par des revenus souvent modestes et des contrats courts ou à temps réduit. Cette précarité de revenu et de statut explique un fort désir d’accéder à des emplois plus durables, améliorés en termes de statut (CDI) ou de volume d’heures. On perçoit ici la place importante que peut prendre l’accompagnement de ces demandeurs d’emploi par le service public de l’emploi pour leur permettre d’accéder à un statut moins précaire : a fortiori, si le dispositif d’activité réduite est destiné à être adapté ou limité, la question de l’accompagnement des demandeurs d’emploi concernés est d’autant plus importante, comme ils pourraient voir les prestations complémentaires à leur revenu d’activité substantiellement réduites.
Jérôme Didry, Nicolas Fleury