Trois repères démographiques pour le débat sur l’âge de la retraite
En matière de retraite, les comportements sont influencés par les paramètres d’âge (âge légal et durée de cotisation dans un régime par annuités). En 2019, l’âge d’ouverture des droits est de 62 ans et la durée d’assurance nécessaire à une retraite à taux plein est de 41 ans et trois trimestres. La réforme de 2014 l’a portée à 43 ans en 2035 à partir de la génération 1973.
En 2018, l’âge moyen de liquidation des nouveaux retraités au régime général était de 62,8 ans (incluant les départs anticipés pour carrières longues). Dans la fonction publique, les âges de départ sont un peu plus faibles en raison des catégories actives (emplois qui présentent un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles, pour lesquels l’âge de départ est fixé à 55 ou 57 ans). En 2017, l’âge moyen de liquidation des nouveaux retraités était ainsi de 61,5 ans dans la fonction publique d’Etat (hors La Poste et Orange), de 61,5 ans dans la fonction publique territoriale, et de 59,8 ans dans la fonction publique hospitalière.
Au cours des 25 dernières années, l’augmentation de l’espérance de vie a surtout alimenté celle de la durée d’activité
Entre 1994 et 2018, l’espérance de vie à 60 ans a augmenté de 2,6 ans pour les femmes et de 3,5 ans pour les hommes ; celle à 65 ans a progressé de 2,5 ans pour les femmes et de 3,2 ans pour les hommes (INSEE). Dans le même temps, la durée de cotisation nécessaire à une retraite à taux plein a été relevée de 4 ans et un trimestre. Cette augmentation a donc été plus importante que celle de l’espérance de vie, pour les femmes comme pour les hommes (voir tableau).
Mais si ce relèvement s’applique à tous, il n’a pas les mêmes effets sur l’âge de départ effectif de départ en retraite de tous les assurés, en raison des mécanismes de décote-surcote et des dispositifs de retraite anticipée pour carrières longues et pénibilité. Il en est de même pour l’âge d’ouverture des droits à la retraite, porté progressivement de 60 à 62 ans de 2010 à 2017, qui n’a pas eu d’incidence sur les assurés ayant commencé leur carrière à l’âge de 21 ans et après.
Au total, selon les estimations de la DREES, les réformes des retraites depuis 1993 auront, à terme, conduit à reculer l’âge moyen de départ à la retraite d’environ 2,5 à 3 ans pour les générations 1960 à 1980. Le relèvement de l’âge d’ouverture des droits est le paramètre qui a les effets les plus importants sur le report de l’âge effectif de départ en retraite d’une génération. Pour la génération 1960 (62 ans en 2022), l’essentiel des gains d’espérance de vie – 2,8 ans pour les femmes et 3,9 ans pour les hommes en prolongeant la tendance des cinq dernières années (cf infra) – se sera traduit par une augmentation de la durée d’activité plus que de la durée de retraite. Pour la génération 1970 (et les suivantes) qui prendra sa retraite à partir de 2032, l’enjeu de l’évolution relative de l’âge de départ relativement à celle de l’espérance de vie est donc crucial.
D’ici 2030, l’âge conjoncturel de départ à la retraite (calculé en ajoutant à l’âge minimal de départ à la retraite la somme des taux des non-retraités par âge supérieur à l’âge minimal ; cet indicateur neutralise l’effet des différences de taille entre générations et permet donc de résumer au mieux l’information à une date d’observation donnée) continuera à augmenter du fait d’une entrée plus tardive sur le marché du travail, de l’augmentation de la durée d’assurance nécessaire au taux plein, et d’un déclin des retraites anticipées pour carrières longues. De 2016 (dernière date connue) à 2030, il augmenterait ainsi de 1,3 an (de 61,5 ans à 62,8 ans) pour les hommes et de 1,2 an pour les femmes (de 62,1 ans à 63,3 ans) (document de travail n°4 du COR, 21 février 2019). Sur la même période, en privilégiant le scénario d’espérance de vie basse (cf infra), l’espérance de vie à 60 ans augmenterait de 1,4 an pour les hommes – de 23,1 ans à 24,5 ans – et de 0,8 an pour les femmes – de 27,5 ans à 28,3 ans (document de travail n°9 du COR, 17 avril 2019).
Des interrogations sur le rythme d’augmentation de l’espérance de vie et sur l’état de santé
Sur la période récente, la progression de l’espérance de vie à 60 ans semble moins évidente que par le passé. Depuis 2013, elle ralentit sensiblement et son évolution est différente pour les hommes et les femmes, pour lesquelles elle semble se stabiliser. Entre 2013 et 2018, elle a progressé de 0,2 an pour les femmes et 0,4 an pour les hommes. Si cette tendance se prolongeait, la hausse serait de 0,4 an par décennie pour les femmes et 0,8 an par décennie pour les hommes, alors qu’elle était de 1,5 à 2 ans par décennie avant 2013.
Les chiffres de 2018 situent l’espérance de vie à 60 ans sur la variante basse des projections démographiques 2016 de l’INSEE, voire un peu en-dessous pour les femmes. Si cette tendance se poursuivait, l’espérance de vie à 60 ans atteindrait 26,7 ans en 2040 et 31 ans en 2070 pour les hommes (contre 23,2 ans en 2018), respectivement 30,1 ans et 33,6 ans pour les femmes (contre 27,6 ans en 2018).
Pour autant, l’espérance de vie à 60 ans ne renseigne pas sur l’état de santé et la qualité de vie à la retraite. Il est nécessaire pour cela de s’intéresser à l’espérance de vie sans incapacité après 65 ans. De 2004 à 2014, celle-ci a augmenté davantage pour les hommes (+1,8 an) que pour les femmes conduisant à une égalisation (10,5 ans). Depuis 2014, elle s’est stabilisée pour les femmes et a diminué pour les hommes (avec pour corollaire une augmentation de l’espérance de vie avec incapacité). Une concentration des gains d’espérance de vie attendus aux âges élevés, où l’état de santé est le plus dégradé, entraînerait plutôt une augmentation de l’espérance de vie avec incapacité. Un recul de l’âge de la retraite pourrait alors apparaître comme un échange entre du temps supplémentaire en bonne santé au travail contre du temps supplémentaire en mauvaise santé à la retraite.
D’ici 2040, 54% des dépenses de retraite supplémentaires liées au papy-boom
Entre 2017 et 2040, les dépenses de retraite (projections 2018 du COR scénario avec productivité de 1,3%) augmenteraient de 39%, dont près de 25 points résulteraient du vieillissement démographique (tableau ci-dessous), le reste étant dû à une hausse de la pension moyenne consécutive à de meilleures carrières salariales. Les dépenses supplémentaires liées au vieillissement proviendraient pour 85% des départs en retraite des générations nombreuses du baby-boom et pour 15% de l’augmentation de l’espérance de vie. La contribution de l’espérance de vie deviendrait majoritaire au cours des années 2050, une fois ces départs achevés.
La question démographique comprend deux horizons différents : un horizon de court et moyen terme (2020-2040) caractérisé par une dimension transitoire (excédent de naissances puis de retraités lié au baby-boom) et un horizon de long terme (2050-2070) marqué par une évolution structurelle (allongement de la durée de vie).
La contribution du baby-boom à l’accroissement des dépenses de retraite montre ainsi la part des dépenses qui pourrait être financée par la constitution de réserves proportionnées aux besoins de financement transitoires. Mais le Fonds de réserve des retraites créé en 2001 dans cet objectif a été sous-alimenté et partiellement liquidé après la crise de 2008.
En conclusion, les incertitudes démographiques combinées au fait que le vieillissement résulte à moyen terme essentiellement du papy-boom, le tout sur fond de situation défavorable de l’emploi des seniors (un salarié sur deux qui liquide sa retraite à 62 ans n’est plus en emploi) incitent à manier avec précaution les mesures d’âge. Puisque le vieillissement est avant tout de nature conjoncturelle jusqu’à 2040, un transfert de l’Etat compensant une absence de réserves pourrait, en toute logique, contribuer au financement du système de retraite.
Antoine Rémond