Une réforme de l’assurance-chômage contestée et contestable

Une réforme gouvernementale unanimement condamnée par les syndicats

La réforme de l’assurance-chômage a dressé contre elle une unanimité syndicale. De manière générale, les syndicats insistent tout particulièrement sur la dureté sociale de la réforme qui entraînerait une baisse importante de l’indemnisation mensuelle pour certains chômeurs, et sur son inefficacité pour réduire le problème de la permittence et du retour à l’emploi.

Le décret du 26 juillet 2019 a apporté cinq types de modifications, entrées en vigueur le 1er novembre (au 1er avril 2020 pour le calcul du salaire journalier de référence), aux règles régissant l’assurance-chômage :

‒ Ouverture de droits et de rechargement des droits. Pour avoir droit au chômage, il est nécessaire d’avoir travaillé 6 mois sur les 24 derniers mois (contre 4 mois sur les 28 derniers mois auparavant) ; exception pour les 53 ans et plus pour qui on considère une période de 36 mois. De même, le rechargement de droits nécessite maintenant d’avoir travaillé au moins 6 mois (130 jours ou 910 heures) depuis la dernière ouverture de droits, contre 1 mois avant (soit 150 heures). Le reliquat de droits n’est pas modifié par la réforme.

‒ Durée minimale d’indemnisation passe de 4 à 6 mois. La durée maximale reste inchangée, fixée à 24 mois pour les moins de 53 ans, 30 mois pour les 53-54 ans et 36 mois à partir de 55 ans (âge à la date de fin du contrat de travail). Notons que moins de 50% des demandeurs épuisent leurs droits.

‒ Salaire journalier de référence (SJR). Le SJR est maintenant calculé à partir des rémunérations sur les deux dernières années précédant la fin du dernier contrat de travail (et non plus sur la dernière année) : « cette période comportera donc à la fois les jours sous contrat de travail et les jours chômés entre deux emplois. Les jours non couverts par un contrat de travail augmenteront ce diviseur et contribueront donc à une diminution du SJR et de l’allocation journalière, par rapport aux règles 2017 » (Unédic, sept. 2019).

‒ Dégressivité de l’indemnisation. Les allocataires de moins de 57 ans avec des revenus supérieurs à 4 500 euros bruts par mois verront une réduction de leur indemnité de 30% à partir du 7e mois, avec un plancher fixé à 2 261 euros nets par mois. Vu les niveaux de salaire concernés, cette mesure touchera principalement les cadres (se référer à ce précédent billet de blog du CEP). Les plus de 57 ans seront finalement exonérés de cette mesure de dégressivité.

‒ Ouverture, sous certaines conditions, d’une indemnisation chômage pour les salariés démissionnaires et les travailleurs indépendants (cf. notre billet sur ce point).

Une réforme aux conséquences sociales potentiellement lourdes

Les mesures impactant l’indemnisation du chômage à travers le salaire journalier de référence et le système de recharge de droits concentrent la plus grande partie des critiques de la part des différentes confédérations syndicales qui pointent la fragilité et l’ampleur de la population potentiellement concernée par la réforme.

Dans une étude de septembre 2019, l’Unédic a estimé que la réforme améliorerait le solde financier de 480 millions d’euros en 2020, 1,78 milliard d’euros en 2021, 2,05 milliards d’euros en 2022. La modification des règles d’indemnisation conduirait à une baisse des dépenses d’indemnisation de près de 10%. Celle-ci proviendrait d’une réduction des montants moyens d’indemnisation versés et du nombre de personnes indemnisées de l’ordre de 70 000 d’ici 2022 (résultant d’une diminution des allocataires indemnisés au cumul emploi/chômage et d’un allongement de la durée des droits du fait de l’évolution du salaire de référence pour le calcul des droits). Toutefois, cette réduction des dépenses serait amoindrie par les dépenses supplémentaires liées aux nouveaux droits (démissionnaires et indépendants) et par la hausse de la participation de l’Unédic au financement de Pôle Emploi (voir infra).

Pour estimer l’impact sur les demandeurs d’emploi indemnisés, l’Unédic a calculé le montant de l’indemnisation chômage (i.e. hors possibles revenus d’activité) avant et après les nouvelles règles  pour des allocataires qui ouvriraient un droit dans la 1re année (entre avril 2010 et mars 2021), soit près de 2,3 millions de personnes. Pour ces nouveaux bénéficiaires, l’Unédic estime que seuls 11% ne seraient pas concernés par la réforme. 53% ne le seraient pas la première année. Les 37% qui le seraient dès la première année (soit environ 850 000 personnes) concerneraient des personnes en activité réduite (catégorie B), touchées de manière significative. En particulier, ceux travaillant le moins (temps partiel réduit/très réduit), verraient une baisse d’indemnité de 45% en moyenne, mais avec un droit plus long. Ainsi, les personnes travaillant à temps partiel entre 25% et 49% verraient leur indemnité moyenne passer de 868 euros à 431 euros (-50%), celles travaillant de 50 à 74% de leur temps verraient cette indemnité passer en moyenne de 897 euros à 679 euros (-24%). En revanche, la durée moyenne du droit s’allongerait respectivement d’environ 12 mois et 6 mois pour ces 2 populations.

Pour finir, la durée minimale de travail qui permet de recharger ses droits se durcit considérablement, en passant de 1 à 6 mois (selon certains conseillers Pôle Emploi, cela revient concrètement à une quasi-suppression du droit rechargeable).

Certaines professions, notamment celles caractérisées par un fort taux d’aller-retour entre emploi et chômage sont susceptibles d’être très touchées par cette réduction de l’indemnisation mensuelle. L’impact financier serait donc potentiellement très important pour de très nombreuses personnes en activité réduite (catégorie B de Pôle Emploi), parfois supérieur à ce qu’ont pu évaluer les syndicats eux-mêmes.

Un impact discutable sur la permittence 

Au-delà des conséquences financières sur les personnes touchées, la question se pose des effets sur la « permittence » (alternance de périodes récurrentes de chômage et d’activité, souvent en contrat précaire), qui était un des buts affichés de longue date pour la réforme du système (avec dans le viseur, le dispositif d’activité réduite). Il est difficile de prévoir les effets de comportement des agents (salariés et entreprises) en réaction à la réforme : il existe différentes réactions possibles de la part des individus et des entreprises, ce qui ne permet pas de conclure sur l’effet de la réforme. Ces effets ne sont pas estimés par l’étude de l’Unédic.

Pour donner cependant quelques éléments de cadrage (déjà évoqués dans ce billet), il existe des débats récurrents sur le fait de savoir si le dispositif d’activité réduite (i.e. le dispositif de Pôle Emploi s’adressant aux demandeurs d’emploi dit récurrents, cumulant à la fois droits à l’assurance-chômage et activité) favorise la « permittence », donc l’alternance de périodes de chômage et de travail (l’un des mécanismes supposé par les concepteurs de la réforme est la désincitation à « choisir » d’exercer sous un contrat précaire). Or, les évaluations statistiques existantes (Grenier/Joutard 1999 ; Fontaine/Rochut 2014 ; Femigacci/Terracol, 2014) montrent un impact positif du dispositif d’activité réduite à long terme sur le retour à l’emploi (mais pas d’effet en termes de qualité de l’emploi, salaire ou nombre d’heures de travail). Il n’y aurait donc pas de démonstration de l’effet d’enfermement (trappe dans des emplois précaires) souvent suspecté pour ce dispositif. Une étude de l’Unédic de 2018 montre également que les personnes en catégorie B, bénéficiaires du « cumul » emploi-chômage, caractérisées à 70% par un travail en CDD ou intérim, veulent majoritairement travailler plus et obtenir un CDI. Par ailleurs, ces personnes ne connaissent pas mieux les règles d’indemnisation que les chômeurs non indemnisés, ce qui autorise à douter de comportements opportunistes pour la plupart des personnes en catégorie B.

Un bonus-malus mal conçu

Le bonus-malus concernera, à partir du 1er mars 2021, les entreprises (d’au moins 11 salariés) ayant recours de façon intensive aux contrats courts de sept secteurs d’activité, et pour lesquels le taux de séparation (de ses salariés) moyen est supérieur à un seuil qui sera fixé par arrêté. Ce bonus-malus prendra la forme d’une modulation du taux de cotisation patronale à l’assurance-chômage. Partant d’un taux de cotisation de 4,05%, la modulation ferait varier ce taux de 3% à 5,05%. La mesure est limitée à 7 secteurs définis par décret. Seuls deux d’entre eux sont parmi les plus contributeurs à la hausse des contrats courts sur 2000-2017 selon l’Unédic, le BTP et le secteur public ne faisant pas partie de liste. On peut avoir de sérieux doutes sur l’effet dissuasif de la mesure sur les comportements d’embauche des entreprises en termes de contrat proposé, le taux de cotisation n’étant augmenté que d’un point au maximum (malus maximum). Par ailleurs, l’indicateur utilisé (taux de séparation) va sanctionner les employeurs avec un fort taux de séparation, mais sur la base d’une définition qui va bien au-delà des CDD (et des CDD les plus courts, i.e. les CDD de moins d’un mois), pouvant pénaliser des entreprises en difficulté économique (voir Camille Signoretto, « Bonus-malus : décryptage d’un mode de calcul complexe et opaque »). Le calcul resterait aussi difficilement lisible pour les entreprises. De plus, outre le fait d’entrer en vigueur tardivement (mars 2021), la mesure restera financièrement neutre pour l’assurance-chômage (les redistributions interviennent entre entreprises au sein d’un même secteur, avec une masse de transferts pouvant aller jusqu’à 400 millions d’euros).

Conceptions divergentes du budget et rôle de l’assurance-chômage

Le budget de l’assurance-chômage donne lieu à des conceptions différentes qui déterminent le rôle de l’assurance-chômage et par suite influencent les réformes à mettre en œuvre. De nombreux chercheurs et experts considèrent ainsi qu’il faut différencier le solde financier de l’Unédic de celui du système assurantiel d’assurance-chômage, lequel représente la différence entre les cotisations d’assurance-chômage et les allocations reçues par les chômeurs. Le solde financier du système assurantiel présente un excédent continu depuis de très nombreuses années (cf. tableau ci-après). Cela reste un fait incontestable.

Une réforme de l’assurance-chômage contestée et contestable

Ce sont certaines dépenses « imposées » au budget de l’Unédic qui expliquent son déficit récurrent et sa dette importante, notamment sa contribution actuelle à hauteur de 10% de ses recettes au financement du service public de l’emploi (SPE). Par exemple, en 2018, cette contribution au budget de Pôle Emploi représente près de 3,8 milliards d’euros. Bruno Coquet (OFCE) rappelle que « nulle avant 1996, la contribution de l’Unédic représentait 10,8% des ressources de l’ANPE en 2001, et 62,9% de celles de Pôle Emploi en 2015 ». Cette évolution ouvre une réflexion sur le financement du SPE, et sur les charges qui en résultent pour l’Unédic, alors que la théorie économique avance l’idée que c’est à l’impôt de financer les services publics.

De ce point de vue, l’augmentation, dès 2019, de 10 à 11% de la part des contributions annuelles destinée au budget de l’Unédic a achevé de mettre en colère les syndicats. Cette augmentation entraîne des dépenses supplémentaires de l’Unédic de 380 millions d’euros en 2020 et en 2021, puis 400 millions d’euros en 2022.

Un débat nécessaire sur la nature du système d’assurance-chômage

La réforme de l’assurance-chômage s’accompagne d’une mutation de paradigme qui n’est pas nécessairement reconnue, partagée ou discutée. En effet, une assurance sociale est définie par le principe de recettes assises sur les contributions (cotisations) des assurés, avec des dépenses correspondant aux droits ouverts, permettant de toucher des indemnités en cas de survenance du risque. Or, depuis 2019, les recettes de l’assurance-chômage proviennent des contributions patronales, et d’une part de la fraction de la CSG sur les revenus d’activité (en compensation des cotisations sociales salariales qui ont été supprimées). Ainsi, en 2019, une partie de la CSG sur les revenus d’activité représentera près d’un tiers des recettes de l’Unédic (selon les prévisions de l’Unédic). Comme présenté dans le tableau ci-avant, cela brouille le principe d’un modèle d’assurance sociale : comment déterminer le solde du système assurantiel maintenant ? A ce titre, la CFDT, FO ou la CGT souhaitent réintroduire une part de cotisations chômage salariales pour défendre le principe de la nature « assurantielle » du régime.

Conclusion : une réforme contestable et déséquilibrée

Au-delà du problème de diagnostic divergent sur la situation de l’assurance-chômage, la réforme décidée en juillet 2019 est déséquilibrée et peut avoir des impacts très forts pour certaines populations. Il est difficile de voir des contreparties aux mesures contenues dans la réforme. Le principe d’un bonus-malus pour les employeurs de contrats courts, quant à lui, est fondé et pertinent, mais la mesure décidée reste limitée voire inefficace.

Le seul point positif et concomitant à la réforme qu’il convient de souligner concerne l’accompagnement des personnes éloignées du monde du travail qui va être renforcé, à travers les recrutements de 1 000 agents Pôle Emploi. Les études existantes soulignent l’impact central de l’accompagnement des demandeurs d’emploi vers le retour à l’emploi (se rapporter par exemple à ce billet de blog du CEP).

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Nicolas Fleury