Une relance de la consommation devenue inévitable
Une consommation en partie alimentée par le surplus d’épargne du premier confinement ?
L’« épargne Covid-19 » accumulée depuis mars 2020 (depuis la période du confinement) par les ménages s’élève en septembre 2020 à près de 100 milliards d’euros selon le ministère de l’économie. Une accélération du comportement d’épargne est ainsi perceptible depuis mars-avril par rapport à la période précédente, générant un surplus d’épargne par rapport à ce qui aurait été normalement prévisible (cf. graphique ci-dessous).
Tendance du comportement d’épargne (2019-2020)
Source : Conseil d’analyse économique (2020)
Note : le graphique ne présente en volume qu’une partie de l’épargne accumulée depuis mars 2020, comme celle-ci est estimée à partir de données d’un Groupe bancaire portant sur un échantillon de 300 000 ménages.
Le surplus d’épargne accumulée depuis mars 2020 peut schématiquement se décomposer entre épargne forcée et épargne de précaution :
‒ L’épargne forcée, qui provient d’une réduction de la consommation entraînée par l’impossibilité de consommer les biens habituels, du fait d’une production limitée ou bloquée par l’épidémie et les mesures de restriction (incluant la période de confinement).
‒ L’épargne de précaution, qui est constituée suite au choix de privilégier l’épargne en face de l’incertitude et en particulier de la perspective d’augmentation probable et substantielle du chômage à venir.
Le plan France Relance ne prévoit rien pour relancer ou soutenir directement la consommation des ménages. Celle-ci a en effet fortement rebondi dès juin pour se situer pendant une grande partie de l’été à un niveau supérieur à celui de la période d’avant-crise sanitaire (cf. ci-dessous).
Evolution de la consommation des ménages (en milliards d’euros)
Source : Insee
Le gouvernement semble tabler, indépendamment de toute incitation, sur une augmentation de la consommation des ménages qui découlerait du surplus d’épargne accumulé pendant le confinement : suite à la présentation du Plan de relance, le premier ministre demandait ainsi début septembre aux ménages d’investir et de consommer, au lieu d’épargner. Cette demande semble en grande partie irréaliste au vu d’indicateurs macroéconomiques en amélioration par rapport au second trimestre avec un redressement net de l’activité au troisième trimestre 2020, mais à 5 % en dessous de son niveau d’avant-crise. Cette reprise d’activité semble insuffisante pour relancer totalement et durablement la machine économique, au vu des restrictions toujours à l’œuvre en septembre, et surtout face à la montée d’une seconde vague épidémique à l’œuvre depuis fin septembre/début octobre. La consommation connait en particulier une baisse significative (- 5,1% en volume) en septembre (cf. graphique ci-dessus).
Le pari d’une reprise de la consommation reposant sur les ménages les plus aisés
Les ménages qui ont le plus épargné sont plutôt ceux à plus hauts revenus. Le gouvernement semble ainsi faire le pari d’une consommation (et donc d’une désépargne) importante de ces ménages.
Une étude du Conseil d’analyse économique (CAE) d’octobre 2020 pointe en effet un impact différencié de la crise sur les dépenses en fonction du niveau de revenu : ce sont les déciles supérieurs de la distribution des revenus, et en particulier le dernier décile, qui ont consommé le moins, donc épargné le plus pendant la période : « Près de 70% du surcroît d’épargne ont (…) été faits par 20% des ménages », tandis que les deux premiers déciles ont connu une désépargne/endettement sur la période (très concentré(e) sur le premier décile). La robustesse de ce résultat est confirmée par d’autres études pour la France, comme celle de l’OFCE. Cela est également cohérent avec cette étude menée aux Etats-Unis, où il est observé que le premier quartile des ménages (25% des plus aisés) a beaucoup plus réduit ses dépenses que les ménages du dernier quartile (25% des ménages à plus faible revenu).
L’étude du CAE montre que les premiers déciles ont accumulé peu ou pas d’épargne depuis le début de la crise sanitaire : il paraît ainsi bien difficile de compter sur une consommation plus soutenue de la part de ces ménages en l’absence d’apport de mesures sociales.
Une hausse de la consommation des plus aisés limitée par les mesures de restrictions pour certains secteurs
Si le plan de relance semble tabler sur une reprise de la consommation des plus aisés, celle-ci risque de ne pas repartir tant que certains secteurs resteront déprimés. Les difficultés pour ces secteurs à retrouver des niveaux d’activité d’avant la crise, proviennent d’une demande plus faible (en raison de craintes liées au Covid-19) mais aussi d’une offre qui n’est pas revenue à sa pleine capacité du fait des restrictions qui s’y appliquent (par exemple, avant le reconfinement, la limitation du nombre de places dans les salles de spectacle ou le trafic aérien réduit), et qui s’est encore réduite en raison du confinement.
Or, une forte part de la consommation habituelle des hauts revenus est orientée vers des secteurs déprimés. En effet, les dépenses de consommation varient fortement selon le niveau de revenu, et les déciles supérieurs sont ceux qui consomment le plus de restaurants, d’hôtellerie, de voyages, ou de loisirs culturels : les 20% de ménages les plus aisés dépensent beaucoup plus en proportion que les 20% de ménages les plus modestes pour leurs loisirs (14,6 % contre 8,2 %), la restauration et les hôtels (6,6% contre 3,5%). Ces mêmes secteurs apparaissent très touchés, et ce durablement, par la crise sanitaire (cf. graphique ci-dessous). En particulier, les activités de transport de voyageurs, hébergement-restauration et activités culturelles étaient très en difficulté pendant le confinement, et le sont toujours en septembre 2020 avec respectivement des pertes d’activité allant jusqu’à 29% pour le transport aérien et 41% pour l’hébergement (source : Note de conjoncture d’octobre 2020 de l’Insee).
Par ailleurs, il paraît illusoire de compter sur un rattrapage complet de la consommation non effectuée dans les périodes précédentes : seule une partie de la non-consommation pour certains types de biens et services pourra être reportée. C’est pourquoi il est crucial de maintenir la capacité d’offre de ces secteurs pour faire en sorte que le rebond soit maximum en sortie de crise. L’effet de rattrapage serait en effet d’autant plus limité que beaucoup d’entreprises feraient faillite.
Perte d’activité des secteurs de l’économie les plus touchés par la crise sanitaire (avril et septembre 2020)
Source : Insee (2020), Note de conjoncture, octobre 2020
Les secteurs les plus touchés par la crise sanitaire, au nombre de douze selon l’Insee, représentent 9% de la valeur ajoutée annuelle (note de conjoncture). Et il paraît très compliqué de faire redémarrer totalement ces secteurs pour espérer un rattrapage durable de l’activité tant que la situation sanitaire ne se sera pas durablement améliorée et en l’absence de volontarisme plus fort en direction du soutien de la consommation. La confiance des entreprises et des ménages reste une variable déterminante de la reprise durable de l’activité, mais la seconde vague épidémique vient assombrir les perspectives de reprise, notamment en mettant à mal les anticipations et la confiance des ménages, et donc leur propension à consommer.
La nécessité d’un soutien à la consommation des ménages
Une reprise autonome et durable de la consommation semble aujourd’hui largement incantatoire. La confiance des chefs d’entreprises et des ménages (optimisme par rapport à l’avenir) apparaît déterminante pour assurer une reprise durable de l’activité. C’est dans cette perspective que le plan de relance a pris plusieurs dispositions de soutien aux entreprises. Toutefois, malgré les mesures d’urgence en vigueur (activité partielle de longue durée, mesures de trésorerie), il manque des mesures spécifiques aux secteurs les plus frappés par les décisions de restriction productive ainsi que des mesures de soutien à la consommation. Par conséquent, le circuit économique ne peut être bouclé d’autant que les mesures de reconfinement entrées en vigueur le 30 octobre risquent de ralentir fortement à nouveau l’activité et la consommation. Un soutien simultané de la demande privée et des secteurs les plus touchés pourrait passer par la mise en œuvre de politiques incitatives en direction de la consommation des ménages, et en particulier ceux à bas revenus : bons d’achat, extension de chèques restaurant sous la forme de « pass consommation », chèques culture, ou baisses de TVA ciblées.
Il nous semble important, notamment à des fins de soutien de la consommation, de mener également une politique plus active d’aide aux ménages les plus modestes, et en particulier ceux qui se situent en-dessous du seuil de pauvreté, via les mesures précitées et le relèvement et l’extension du champ des bénéficiaires des minima sociaux. En effet, alors que la pauvreté remonte en France depuis les années 2000 (voir ce billet de blog), les associations caritatives évaluent à au moins un million le nombre de personnes tombées dans la pauvreté suite à la crise sanitaire : le nombre de pauvres s’élèverait désormais à plus de 10,3 millions sur le territoire. Favoriser la consommation des ménages aux plus bas revenus permettrait de soutenir la relance de l’activité, étant entendu que les bas revenus ont une propension à consommer plus forte que les plus hauts revenus et que la part des dépenses pré-engagées (dépenses moins sensibles à court terme aux variations de revenus) dans leurs dépenses de consommation est également plus importante (se rapporter à ce billet de blog). Le quatrième projet de loi de finance rectificatif (PLFR) pour 2020 n’y a répondu que marginalement en accordant une prime de 150 euros à destination des boursiers du supérieur et des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), des aides personnelles au logement (APL), pour un montant global de 1,1 Md€. Les allocataires concernés toucheront aussi une prime supplémentaire de 100 euros par enfant de moins de 20 ans.
Nicolas Fleury