Le financement des retraites et les malentendus de la réforme
Besoins de financement : le refoulement de la campagne présidentielle
Lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2017, le constat de départ du projet d’Emmanuel Macron était basé sur les conclusions du rapport du Conseil d’orientation des retraites de juin 2016 : « pour la première fois depuis des décennies, les perspectives financières permettent d’envisager l’avenir avec “une sérénité raisonnable” selon le Comité de Suivi des Retraites. L’enjeu aujourd’hui n’est donc pas de repousser l’âge ou d’augmenter la durée de cotisation ».
Selon les promoteurs d’une réforme systémique, c’était ainsi le bon moment de faire une réforme systémique car elle ne serait pas suspectée d’engendrer un durcissement des conditions d’accès à la retraite ou une baisse des droits. En réalité, la question du besoin de financement du système de retraite, bien que n’ayant pas été abordée, se posait déjà lors de la campagne présidentielle. Le constat du candidat Macron reposait sur les conclusions du rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) de juin 2016. Or celles du rapport de juin 2017 sont différentes. Elles mettent en avant un besoin de financement (d’environ 0,6 à 0,7 point de PIB). L’augmentation qui s’explique par deux éléments :
– De nouvelles projections démographiques de l’Insee, lesquelles constituent la base des projections financières du système de retraite réalisées par le COR. Celles-ci ont révélé une dégradation des conditions démographiques anticipées : une baisse du taux de fécondité, un solde migratoire plus faible, une augmentation de l’espérance de vie des hommes en fin de vie (lire « Trois repères démographiques pour le débat sur l’âge de la retraite »).
– Une révision à la baisse de la masse salariale de la fonction publique.
Depuis le rapport du COR de juin 2017, les besoins de financement à horizon 2025 restent à peu près les mêmes, ils évoluent marginalement sous l’effet contraire de la dégradation des perspectives économiques de court et moyen terme et de nouvelles mesures d’économie relatives aux retraites (par exemple, décalage de la date de revalorisation des pensions en 2018, sous-revalorisation en 2019 et en 2020 pour les pensions supérieures à 2 000 euros). Dans ces conditions, la commande d’un nouveau rapport au COR n’était pas justifiée, sauf à confirmer, comme l’avait fait le rapport annuel du COR de juin 2019 six mois auparavant, ce que l’on sait depuis trois ans.
Les nouvelles projections démographiques de l’Insee et la révision à la baisse de la masse salariale de la fonction publique étaient parfaitement connues lors de la campagne présidentielle de 2017 puisque les premières ont été rendues publiques en octobre 2016 et la seconde résulte de la mise en œuvre du programme présidentiel d’Emmanuel Macron.
Dès lors, si l’exécutif estimait qu’il y avait un besoin de financement à horizon 2025, il fallait le dire et l’assumer dès 2017. Comme cela n’a pas été le cas, l’objectif de la réforme a été brouillé et la concertation du Haut-commissariat avec les partenaires sociaux s’est révélée en décalage avec les premières prises de position du gouvernement au printemps 2019. C’est en effet à ce moment que la question du besoin de financement a été évoquée, avec le débat sur un éventuel relèvement de l’âge d’ouverture des droits à la retraite. Cette mesure a été écartée ensuite mais pas la condition d’un équilibre financier du système lors de l’entrée en vigueur de la réforme systémique (alors souhaitée par l’exécutif en 2025). De là naît le malentendu avec la CFDT, laquelle n’a pas manqué de rappeler à plusieurs reprises la position du candidat Macron sur l’équilibre financier à l’horizon 2025.
Transition longue et incertitudes pour le financement
Le projet de réforme des retraites prévoit le passage de 42 régimes, avec des règles différentes de calcul de la pension (taux de cotisation, assiette de cotisation, salaire de référence retenu pour calculer la retraite), à un seul régime basé sur des règles d’acquisition des droits identiques. Le projet présidentiel d’Emmanuel Macron prévoyait une transition courte sur une période d’environ 10 ans, de laquelle seules les personnes à moins de 5 ans de la retraite auraient été exclues. Compte tenu de la configuration institutionnelle de départ et du système cible, l’acceptabilité sociale d’une telle transition était tout sauf garantie. Parmi les pays ayant mené une réforme systémique, seule l’Italie présente une situation comparable à celle de la France.
L’Allemagne, avec la réforme de 1992, est passée d’un système composé de plusieurs régimes de base (salariés du privé, fonctionnaires, indépendants, agriculteurs) en annuités avec une pension calculée sur l’ensemble de la carrière à un système fondé sur les mêmes régimes de base par points (calculant la pension sur l’ensemble de la carrière). Les taux de cotisation n’étaient pas fixés au préalable et il n’y avait pas de coefficient d’équilibrage démographique. Les réformes de 2001 et 2007 durciront les règles du système.
La Suède, avec la réforme de 1998, est passée d’un système composé d’un régime de base unique, en annuités, calculant la pension sur les 17 meilleures années, et de régimes complémentaires à un système transformant le seul régime de base en un régime par comptes notionnels, dans lequel la pension est calculée à partir des salaires de l’ensemble de la carrière et un coefficient de conversion prenant en compte l’espérance de vie. Le nouveau système s’applique intégralement pour les personnes de moins de 45 ans et progressivement pour les autres.
Avec la réforme de 1995, l’Italie est passée d’un système composé d’une multitude de régimes en annuités à un régime unique par comptes notionnels calculant la pension sur l’ensemble de la carrière. Le nouveau système a été appliqué aux nouveaux entrants à partir de 1996, puis progressivement aux salariés se trouvant à plus de 18 ans de la retraite. C’est exactement le type de transition retenu par le gouvernement (à un an près puisque le gouvernement prévoit de l’appliquer aux assurés qui sont à au moins 17 ans de la retraite). Cette réforme n’a comporté qu’un volet systémique. Malgré une réforme paramétrique durcissant les principaux paramètres réalisée en 1992, l’ajustement repose sur les jeunes générations, mais à un horizon lointain. D’ici là, des besoins de financement demeuraient et il a fallu refaire plusieurs réformes du système existant (réformes Prodi en 1997, Maroni en 2004, Fornero en 2011).
Outre le besoin de financement, c’est là le deuxième malentendu : la question de la transition a également été sous-estimée, tant dans sa durée que dans ses conséquences en termes de calcul des droits et de convergence des taux et des assiettes de cotisation. Elle l’a été dans le programme d’Emmanuel Macron, mais également dans le rapport Delevoye, malgré un an et demi de consultation des partenaires sociaux. Or, bien que la France ait fait des réformes visant à durcir les conditions d’accès à la retraite et que l’indexation du salaire de référence (servant au calcul des pensions) et des pensions sur les prix limite la part des retraites dans le PIB, l’exemple italien montre qu’elle n’est pas à l’abri de connaître de nouveaux besoins de financement en raison de la longueur de la transition.
Par ailleurs, en optant pour une transition longue, dans laquelle les nouveaux entrants sur le marché du travail relèveront entièrement du système universel, les jeunes générations cotiseront exclusivement au nouveau système, ce qui privera de ressources le système actuel, dont les dépenses de retraite augmenteront en raison d’un nombre croissant de pensions à financer. Comme le système restera par répartition, il faudra donc prévoir des transferts du nouveau système universel vers les régimes actuels, qui demeureront, afin qu’ils puissent assurer le paiement des pensions. La compensation ne sera pas parfaite. Elle le sera d’autant moins que le statut de certaines ressources du système actuel émanant de l’État (taux de cotisation employeur et subvention d’équilibre) n’est pas clair (cf. billet n°173 à venir). Ce manque de précision génère lui-même des incertitudes et des zones d’ombre sur le financement pendant la période de transition mais aussi dans le système universel.
Conclusion : une discussion sur le financement à côté du vote de la loi
La reconnaissance tardive d’un besoin de financement en 2025 et les imprécisions relatives à une longue période de transition aboutissent à une situation insolite. Alors que le projet de loi est en cours de discussion au Parlement, presque deux ans après le lancement de la réforme des retraites et de la concertation des partenaires sociaux par le Haut-commissariat à la réforme des retraites, la question du financement et de la trajectoire financière du système de retraite, dont dépendent normalement les prestations, commence seulement à être abordée et discutée dans une conférence de financement tripartite (syndicats, patronat, État) qui vient de démarrer. Celle-ci devra formuler des propositions de financement et sera suivie d’une décision par ordonnance.
Les projections financières du système de retraite à court et moyen terme ne sont pas catastrophiques dans la mesure où le besoin de financement serait dû essentiellement, comme l’a souligné le COR, à une baisse des ressources résultant d’une réallocation au sein des administrations publiques. Toutefois, à défaut de l’équilibre spontané à horizon 2025 proclamé lors de la campagne présidentielle, l’équilibrage financier souhaité par le gouvernement répond à une logique de cohérence temporelle. En effet, alors que le système universel devrait verser les premières pensions de retraite en 2037, il serait difficile de justifier de faire d’abord une réforme systémique alors que le système actuel devrait connaître un besoin de financement à horizon 2025 et que sa part dans le total des pensions versées resterait majoritaire plusieurs années encore après 2037. D’autant que, en raison de la longueur de la transition, un nouveau besoin de financement pourrait se produire ultérieurement. Le problème est que cette logique est contestable en raison des incertitudes créées par la réforme elle-même sur le financement de moyen et long terme. Faute de précision, celles-ci affectent la trajectoire financière et font naître des doutes sur l’équilibre financier lors de l’entrée en vigueur du système universel. Cela remettrait en cause l’un des fondements de la réforme et perturberait l’équilibrage automatique d’un système reposant sur la neutralité actuarielle.
Antoine Rémond