L’égalité des chances, un idéal toujours fuyant
En France, des inégalités des chances importantes malgré des inégalités de revenus contenues
La question de l’égalité des opportunités et donc de la mobilité sociale est souvent abordée en lien avec le degré des inégalités au sein d’un pays donné. La « courbe de Gatsby le Magnifique » (Great Gatsby curve) concluait à une relation négative entre le niveau d’inégalités et la mobilité intergénérationnelle (voir les précédents billets du CEP ici et ici). Le récent rapport de l’OCDE (2018) « L’ascenseur social en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale ? » confirme la persistance globale de ce lien mais le nuance pour certains pays. Ainsi, malgré un niveau d’inégalités relativement faible (mesuré par le coefficient de Gini), la France apparaît dans le groupe de pays (avec l’Allemagne, l’Autriche et la Hongrie) qui se caractérisent également par une mobilité intergénérationnelle de revenus limitée.
Selon ces estimations, en France, six générations sont nécessaires aux individus nés dans les familles les plus pauvres (définies comme les 10% les plus pauvres de la population) pour atteindre le revenu moyen du pays. En comparaison, ce chiffre est de trois pour les pays scandinaves (Norvège, Finlande, Suède et deux pour le Danemark) et peut atteindre neuf et plus dans certains pays émergents comme le Brésil, la Colombie et l’Afrique du Sud.
Une mobilité inégale au sein des sociétés
Des différences importantes dans les opportunités selon l’origine des individus sont observées également au sein des pays. La mobilité sociale n’est pas présente de la même façon à tous les niveaux de l’échelle sociale. Le rapport de l’OCDE souligne la faiblesse globale de la mobilité en haut et en bas de la distribution sur les multiples dimensions de la mobilité sociale (voir encadré) : non seulement en termes de revenus mais aussi en termes de profession, de santé, d’éducation.
En prenant une perspective intra-générationnelle, le constat est similaire : faible mobilité en bas et, encore davantage, en haut de la distribution des revenus, une tendance qui se renforce depuis les années 1990. Selon les pays, cette persistance peut être plus marquée sur l’une ou l’autre des extrémités.
En France, 64% des personnes (18-65 ans) faisant partie du quintile le plus bas y sont toujours 4 ans plus tard. Le chiffre est de 67% pour ceux du quintile le plus haut qui s’y maintiennent. La difficulté de certaines populations en France d’améliorer leurs revenus apparaît également dans une récente publication de la DREES qui indique le faible taux de sortie durable du RSA : seulement 13% des allocataires de 2011 ne perçoivent plus de minima sociaux pendant les cinq années suivantes.
Ce constat d’une inégalité de revenus contenue en France mais d’une inégalité des chances plus marquée, amène à s’interroger sur les canaux de transmission d’une génération à l’autre. Pour France Stratégie, l’origine sociale (catégorie socio-professionnelle du père) influence le niveau de vie des individus principalement au travers de l’éducation et du niveau de diplôme atteint. Un effet renforcé au niveau des ménages par le phénomène d’« homogamie éducative » : les conjoints des diplômés sont eux-mêmes diplômés. Dans le domaine de l’éducation, le soutien à la garde d’enfant et l’éducation dès le plus jeune âge sont, selon le rapport de l’OCDE, les outils les plus efficaces pour assurer le même départ à tous les enfants et réduire les écarts entre eux, des efforts à poursuivre tout le long de la scolarité.
La question de la vulnérabilité des classes moyennes face aux chocs
Les classes moyennes sont ainsi les plus concernées par la mobilité : positive, avec plus d’opportunités de se déplacer vers le haut de la distribution mais aussi négative, étant également plus exposées aux risques de perte de revenus. Cependant, la probabilité d’un mouvement vers le haut ou vers le bas n’est pas la même selon la position au sein de cette catégorie : une division semble s’esquisser au sein des classes moyennes selon le rapport de l’OCDE (estimations sur 14 pays). Ainsi, le risque de perdre des revenus et de descendre dans le quintile le plus bas (après quatre ans) des personnes en âge de travailler a légèrement augmenté pour ceux dans le deuxième quintile de la distribution alors qu’il a diminué pour ceux du 3e et 4e quintile entre la fin des années 1990 et le début des années 2010.
Les risques de forte dégradation du niveau de vie sont, en partie, liés à la capacité des ménages à absorber des chocs temporaires suite à des événements comme le chômage ou la dissolution familiale. Comme pointé par un document de travail de l’OCDE (2018) consacré à l’analyse du patrimoine, une part importante des individus au-dessus du seuil de pauvreté (36% pour l’OCDE) est « économiquement vulnérable » c’est-à-dire ne dispose pas de patrimoine financier liquide suffisant pour se maintenir au-dessus du niveau de pauvreté durant au moins 3 mois en cas de réduction soudaine des revenus. Le patrimoine, s’il peut jouer un rôle d’amortisseur dans ces situations, est cependant réparti de façon nettement plus inégalitaire que les revenus. Ainsi, dans les pays de l’OCDE, les 10% les plus riches des ménages détiennent 52% du patrimoine net, mais 24% des revenus sont perçus par les 10% des personnes les mieux rémunérées. La forte association observée entre le revenu des personnes et le patrimoine hérité fait apparaître la transmission de ce dernier parmi les facteurs réduisant la mobilité intergénérationnelle.
Les politiques publiques ont ainsi une fonction importante de promotion de l’égalité des chances dans ses multiples dimensions et ces analyses tendent à montrer que c’est un domaine dans lequel la France peut s’améliorer. Au-delà de cet aspect, afin d’éviter les risques de forte dégradation du niveau de vie, l’action publique a également un rôle essentiel dans la protection contre les effets de chocs temporaires sur les revenus.
Milena Gradeva