Que contiennent les accords d’entreprise sur le temps de travail ?
L’analyse d’un échantillon de 20 accords d’entreprise (appartenant à différents secteurs) sur le temps de travail montre que deux axes autour desquels pourraient se nouer des compromis se dégagent (la flexibilité du temps de travail pour l’entreprise et la liberté de choix pour le salarié), avec, pour les cadres, une problématique spécifique liée aux forfaits jours et à leur encadrement pour une autonomie maîtrisée. Mais les accords analysés améliorent davantage la compétitivité des entreprises que la situation des salariés (voir La Lettre du CEP n°32).
Des motivations quasi exclusivement centrées sur la compétitivité des entreprises
L’intérêt des entreprises est au premier plan des motivations exprimées explicitement au sein des accords étudiés. Pour une très grande majorité d’accords, c’est la compétitivité qui est mise en avant. L’intérêt du salarié apparaît au second plan dans ces motivations (il n’est évoqué que dans moins d’un tiers des cas étudiés). Quand il est explicité, il correspond essentiellement à la mention des aspirations des salariés, ou désigne des objectifs de conciliation entre vies professionnelle et personnelle. Le déséquilibre affiché dans les motivations est confirmé par les mesures concrètes présentes dans les accords. Celles visant l’intérêt de l’entreprise sont nettement plus présentes et plus précises que celles visant l’intérêt du salarié.
Une flexibilité du temps de travail généralisée
La flexibilité collective du temps de travail est le moyen le plus mobilisé par les accords. Elle comprend les formules d’aménagement du temps de travail et ses marges de fluctuation. Tous les accords définissent une segmentation des régimes de temps de travail par qualification. Certains y ajoutent une segmentation par métier. Les accords privilégient également une durée hebdomadaire de référence supérieure à 35 heures, ce qui se traduit par des jours de RTT. Cela donne à l’entreprise plus de souplesse, dans la mesure où la prise de jours de repos se fait en accord avec l’employeur, voire est imposée par celui-ci. Enfin la modulation du temps de travail permet à l’entreprise d’accroître celui-ci dans les périodes de pics et de le réduire dans les périodes de creux. Plusieurs accords fixent une borne haute supérieure à 39 heures, qui constituent la borne que l’employeur doit respecter en cas de mise en place unilatérale.
Les trois quarts des accords traitent des heures supplémentaires. Les accords analysés n’ont pas fait le choix de déroger au contingent annuel légal de 220 heures, ni, pour l’instant, au taux de majoration de 25%. Néanmoins, les assouplissements apportés par la loi du 20 août 2008 permettent de cumuler forte modulation et fort contingent d’heures supplémentaires. C’est le cas dans plusieurs accords, où le seuil de déclenchement des heures supplémentaires se situe alors aux alentours de 40 heures.
S’agissant du travail de nuit ou du dimanche, la moitié des accords y font référence. Certains se contentent d’envisager les horaires atypiques (y compris le samedi) comme une éventualité dans le cadre des heures supplémentaires ou de la modulation. D’autres en font un élément central dans le fonctionnement de l’entreprise. Très peu de mesures concrètes de conciliation vie familiale-vie professionnelle sont relevées.
Peu de liberté de choix pour les salariés
Les dispositifs permettant aux salariés une (relative) capacité d’organisation de leur temps de travail sont encore très timides. Ils passent notamment par la possibilité d’adapter les plages horaires de travail. Mais cela ne concerne qu’une minorité d’accords de notre échantillon. La définition dans les accords des plages variables et fixes est plus ou moins souple, et s’articule autour des heures d’arrivée, de déjeuner et de départ. Ce choix d’horaires s’accompagne le plus souvent d’une banque de temps construite autour d’un dispositif de crédit/débit d’heures qui sert à enregistrer les soldes par rapport à la durée de référence hebdomadaire.
La flexibilité individuelle du temps de travail à l’initiative des salariés peut également passer par les comptes épargne temps (CET). Une différence entre les entreprises de taille intermédiaire et les grandes entreprises apparaît nettement. Seules ces dernières semblent mobiliser le CET pour permettre de vrais arbitrages de temps.
Mesurer le temps ou la charge de travail ? Le cas des forfaits jours
Tous les accords étudiés dans notre échantillon mentionnent l’existence de forfaits jours pour les cadres. Les durées de référence des forfaits jours retenues dans les accords étudiés, variant de 199 à 218 jours par an, sont plutôt longues (un tiers des accords étudiés retient le maximum légal fixé à 218 jours). Plusieurs accords prévoient une augmentation des forfaits et lorsque différents paliers de temps de travail sont proposés aux salariés au forfait, il s’agit le plus souvent de leur permettre de passer à un forfait de temps de travail supérieur.
S’agissant de l’encadrement des forfaits jours, obligatoire depuis la loi Travail de 2016, la moitié des accords le pratique de façon sommaire. La grande majorité des entreprises se contentent de systèmes déclaratifs et d’entretiens formels qui ne permettent ni de pointer des dépassements de temps de travail, ni de mesurer et corriger des surcharges de travail. En revanche, les systèmes d’alerte prévus par près de la moitié des accords étudiés, prévoient des procédures à l’initiative des salariés en cas de surcharge de travail. Certaines d’entre elles posent des jalons contraignants tels que l’obligation pour l’employeur de mettre en place des actions correctives dans un certain délai.
Les accords les plus récents mentionnent par ailleurs le droit à la déconnexion des salariés au forfait jours (instauré par la loi Travail de 2016). Certains se contentent de formules évasives invitant les salariés à ne pas utiliser les moyens digitaux pendant leurs repos, mais d’autres proposent des initiatives plus contraignantes (déconnexion obligatoire après 20h, etc.).
Des accords déséquilibrés, jusqu’à quand ?
La grande majorité des accords de notre échantillon privilégie la compétitivité de l’entreprise, ce qui aboutit à un déséquilibre avec les contreparties pour les salariés dans les mesures prévues par ces accords. Cette situation, en partie due à la crise, tranche avec la période de conclusion des accords de mise en place des 35 heures où les compromis étaient très encadrés par les lois Aubry. Cette situation peut s’expliquer aussi par une différence dans la production des normes. En matière d’aménagement du temps de travail à l’initiative du salarié, celles-ci résultent de la seule négociation collective, alors qu’en matière de flexibilité pour l’entreprise, les dispositifs sont d’abord encadrés au niveau législatif. Pour ce qui est des choix individuels, les dispositifs innovants instaurés par la négociation d’entreprise restent rares. Mais la baisse du chômage et l’apparition de difficultés de recrutement dans certains secteurs pourraient redonner du pouvoir de négociation aux salariés. Et la demande sociale pour une meilleure gestion des temps tout au long de la vie, qui se fait plus pressante, notamment pour raisons familiales (éducation des enfants et aidants familiaux), pourrait également favoriser le développement de tels dispositifs innovants.
Claire Blondet, Nicolas Fleury, Antoine Rémond