Morts et amiante dans les multinationales françaises
Chaque année, le Centre Etudes & Prospective produit un rapport sur la façon dont les entreprises remplissent leur obligation de communication en matière sociale. Celui-ci est basé sur la communication 2015 des 33 plus grosses capitalisations boursières françaises. La Lettre du CEP n°31 revient sur les principaux résultats. Ce billet présente plus spécifiquement deux sujets de communication des multinationales : les morts au travail et l’amiante.
Une entreprise peut-elle être socialement responsable sans communiquer sur le nombre de morts au travail ?
Depuis 2002, les grandes entreprises sont obligées de publier des informations sur la santé et la sécurité des salariés à l’échelle du Groupe (article R. 225-105-1 du code de commerce). La direction de l’entreprise peut-elle être socialement responsable sans être transparente sur le nombre de morts au travail ?
Communication des entreprises sur le nombre d’accidents mortels liés au travail
Les 14 entreprises transparentes |
Les 18 entreprises qui ne communiquent pas |
Accor, Air Liquide, Bouygues, Cap Gemini, Danone, Engie, Essilor International, Legrand, LVMH, Orange, Saint-Gobain, Sanofi, Schneider Electric, Total. |
Axa, BNP Paribas, Carrefour, Crédit Agricole, Kering, L’Oréal, Michelin, Pernod-Ricard, Peugeot, Publicis, Renault, Safran, Société générale, Sodexo, Valeo, Véolia Environnement, Vinci, Vivendi |
NB Technip communique sur le taux de fréquence des accidents mortels mais pas sur le nombre de morts liés au travail.
Pour ces 14 entreprises, on déplore 52 morts ; et pour les 18 entreprises qui ne communiquent pas ? La plupart des 14 ne précise pas qui elles intègrent dans leur calcul : seulement les salariés ? Ou prennent-elles en compte le nombre de décès chez les sous-traitants ? L’exemple de l’industrie cimentière montre qu’il y a trois fois plus de décès chez les sous-traitants que chez les salariés.
Source : Etude sur l’industrie cimentière mondiale, Secafi/CEP pour l’Internationale des travailleurs du bois et du bâtiment
L’amiante, un danger mortel mais tout dépend dans quel pays vous travailliez
Depuis les années 60, la responsabilité de l’amiante dans la survenance de certains cancers est connue. Il a néanmoins fallu attendre 1997 pour que son usage en soit interdit en France et il faudra sans doute encore des années avant que ne soient reconnues par la justice les victimes de l’amiante. Quelle est la politique des multinationales françaises sur le sujet vis-à-vis des salariés, des sous-traitants, de la population avoisinante dans les pays où l’usage de l’amiante est autorisé ? Ont-elles interdit l’utilisation de l’amiante partout dans le monde ou se contentent-elles de respecter les législations locales ?
Nombre de salariés des multinationales françaises et consommation d’amiante dans le monde en 2015
Seules trois entreprises (Accor, Michelin et Valéo) mentionnent une interdiction généralisée. D’autres entreprises sont moins explicites. La majorité n’en parle même pas. Certes, tous les secteurs ne sont pas directement concernés de la même manière mais qu’en est-il indirectement dans la chaîne d’approvisionnement ? Qu’en est-il pour les nanomatériaux qui, selon de nombreuses hypothèses, pourraient être à l’origine de maux de même nature ?
Analyse de la communication de 33 entreprises du Cac40 pour l’exercice 2015
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Mention du point de vue du risque pour les humains (travailleurs, clients, riverains…) |
Mention du risque pour l’entreprise (litige, règlementation, R&D…) |
Amiante |
Accor, BNP Paribas, Bouygues, Michelin, PSA, Total, Valeo |
Axa, Legrand, Saint-Gobain, Schneider Electric, Technip, Total, Valeo, Veolia |
Nanoparticules/matériaux… |
Kering, Legrand, Pernod-Ricard, PSA, Renault, Saint-Gobain, Sanofi, Veolia |
Engie, Essilor, Total |
Nous n’avons pas mentionné Engie et Vinci. Car, Engie ne mentionne l’amiante que pour la prise en charge des malades dans le cadre du statut des IEG ; Vinci ne traite de l’amiante que pour une de ses filiales –Vinci Energies-qui a mis en place une web-formation sur les dangers de l’amiante. Qu’en est-il des autres. Ne sont-elles pas concernées ?
Ces deux exemples montrent qu’il faut une politique Groupe sur le sujet et que les moyens des instances paritaires qui traitent de la santé et de la sécurité soient renforcés. La loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre impose aux grands groupes français de prendre des mesures (parmi lesquelles un plan de vigilance) afin de prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement du fait de leurs activités, de celles de leurs filiales (y compris étrangères) ainsi que celles de leurs sous-traitants et fournisseurs. Souhaitons que les rédacteurs des plans de vigilance dans les grandes entreprises aboutissent à la même conclusion.
Natacha Seguin