Parité vs ségrégation – Vers une juste représentation des femmes au travail ?

La Lettre du CEP n°27, publiée en mars 2017, s’interroge sur les effets de cette nouvelle mesure qui impose une représentation « équilibrée » des femmes et des hommes lors des élections professionnelles. La féminisation de l’emploi, tendance lourde de ces dernières décennies, n’empêche pas que l’emploi des femmes reste très concentré, dans certains secteurs d’activité, dans certains métiers, dans certaines qualifications ainsi que dans certaines formes particulières d’emploi, ce qui ne sera pas sans incidence sur l’application de la mesure « Rebsamen ».

De la parité politique à la proportionnalité professionnelle

La mesure de la loi du 17 août 2015, dite loi Rebsamen, s’inscrit dans le long processus d’inscription du principe de parité dans la Législation, pour les élections politiques dans un premier temps, pour les responsabilités professionnelles et sociales ensuite. Si les résultats sont tangibles tant dans les assemblées politiques que dans les conseils d’administration des grandes entreprises, ils demeurent très relatifs. En comparaison, la présence des femmes dans les instances représentatives du personnel (IRP) apparaît déjà importante même si elle reste inférieure à leur place réelle parmi les salariés. Selon la dernière édition de l’enquête REPONSE, 37% des représentants du personnel sont des femmes alors qu’elles constituent 41% des autres salariés. Mais la part des femmes dans les IRP est fortement marquée par la structure sexuée des emplois. Elle est logiquement plus importante dans le tertiaire que dans l’industrie ou la construction.

De fait, la mesure « Rebsamen » aboutira soit à une forme de parité dans les IRP et représentera alors mal le profil de l’électorat, soit à une représentation proportionnelle des femmes par rapport à leur part dans l’électorat et alors la mixité des IRP restera très relative.

La ségrégation professionnelle

L’emploi des femmes est en effet marqué par un phénomène structurant dénommé « ségrégation professionnelle » qui reflète la division sexuelle du travail qui a, de tous temps, assigné les femmes à certains métiers et à certaines formations pour y parvenir. Aujourd’hui, les métiers occupés par les femmes et les hommes restent très différents, même s’ils le sont de moins en moins. L’indicateur de ségrégation professionnelle s’élève actuellement à 51,6 ce qui signifie que pour aboutir à une répartition égalitaire des femmes et des hommes dans les différents métiers, il faudrait que 51,6% des femmes ou des hommes changent de métier (voir publication de la Dares de mars 2015).

Depuis la fin des années 1990, cet indicateur diminue régulièrement, notamment grâce au développement de la mixité dans des métiers très qualifiés, principalement du secteur tertiaire tels que les professionnels du droit devenus majoritairement féminins mais aussi dans l’industrie où un quart des ingénieurs et cadres techniques sont désormais des femmes (voir publication de la Dares de janvier 2017).

Malgré une évolution favorable, il n’en reste pas moins que le nombre de métiers mixtes (comptant 40 à 60% de femmes) reste minoritaire : 15 familles professionnelles mixtes sur 86. Et certains métiers en forte expansion restent quasi exclusivement féminins telles les aides à domicile, aides ménagères et assistantes maternelles.

Leur surreprésentation dans les emplois atypiques, dans certains secteurs d’activité peu structurés comme les services à la personne, dans l’emploi non qualifié et dans les entreprises de petite taille ne favorise pas l’engagement des femmes dans les mandats de représentants du personnel.

Les femmes, l’avenir du syndicalisme ?

Les organisations syndicales, qui présentent les candidats au premier tour des élections professionnelles, doivent désormais trouver suffisamment de candidates pour respecter la proportionnalité devenue obligatoire. Or, il apparaît que les conditions d’exercice des mandats ne sont pas égales pour les hommes et les femmes, ces dernières devant faire face à des difficultés spécifiques (voir La Lettre du CEP de juin 2015) :

  • L’articulation des temps de mandat, professionnels et personnels, est plus difficile pour les femmes et pèse sur leur engagement et leurs pratiques. 
  • La répartition des tâches entre femmes et hommes au sein des IRP reste sexuée, les femmes s’occupant souvent de tâches à fort investissement mais moins valorisées. 
  • Les conséquences de leur engagement sur leur évolution professionnelle se transforment en une sorte de « double peine » pour les femmes.

Pour que les organisations syndicales puissent convaincre plus de femmes de se porter candidates aux mandats de représentants du personnel, c’est sur tous ces points qu’elles devront travailler.

C’est d’ailleurs un des mérites de la mesure « Rebsamen ». S’il n’est pas sûr du tout qu’elle permette d’améliorer la mixité dans les IRP, elle oblige les organisations syndicales, et plus généralement les salariés, à mettre le sujet sur l’établi et à prendre conscience de tous les freins rencontrés par les femmes dans leur emploi comme pour s’engager dans un mandat. Cela peut être l’occasion pour les représentants du personnel de s’emparer des questions de mixité dans les recrutements et les promotions, de préjugés attachés aux compétences supposées des hommes et des femmes, d’inégalités salariales et de carrières, de moindre valorisation des métiers « féminins » dans les grilles de classification, de pénibilité propre aux métiers féminins, etc. Cela devrait participer de la conquête de l’égalité réelle.


Claire Blondet