Les difficultés de recrutement de cadres dans la fonction Production industrielle

Une méthodologie fondée sur un contexte de tensions persistantes dans l’industrie

Depuis de très nombreuses années, on observe, pour les employeurs, des tensions significatives et persistantes (cf. encadré) en termes de recrutement dans le secteur industriel, en particulier pour les cadres. L’enjeu principal relié à ces tensions est d’assurer le bon renouvellement des compétences dans un contexte général de destructions d’emplois dans l’industrie, mais aussi de départs en retraite des baby-boomers, et d’« innovations de rupture », dont l’impact sur l’emploi, en particulier celui des cadres, est incertain.

Encadré : Quels indicateurs de tension sur le marché du travail ?

 Les difficultés de recrutement de cadres dans la fonction Production industrielle

Source : D’après APEC

Dans ce contexte, l’Agence pour l’emploi des cadres (APEC) vient de publier une étude sur « Les difficultés de recrutement de cadres dans la fonction Production industrielle », à laquelle ont participé le Centre Etudes et Prospective du Groupe Alpha et le Service Etudes et Diagnostic de Sodie. Ce travail a été réalisé à partir d’une trentaine d’entretiens menés auprès d’acteurs de quatre secteurs d’activité (Mécanique-Métallurgie, Automobile-Aéronautique, Industries Pharmaceutiques et Chimiques, Agroalimentaire).

La fonction Production industrielle a pour mission d’orchestrer la fabrication en respectant coûts, délais, et qualité. Elle regroupe, au sens de l’APEC, quatre grands ensembles : la direction industrielle, la gestion de la production, les métiers supports et les fonctions liées à l’organisation de la production. La fonction Production industrielle est parfois peu différenciée (ou différenciable) de la fonction « Services techniques » (logistique, process et méthodes, qualité, achats, maintenance, etc.), qui est également incluse dans le champ de l’étude. La fonction « Production industrielle » chez les cadres est identifiée comme particulièrement en tension par l’APEC. Ainsi, 62% des recrutements y étaient jugés difficiles en 2014 (source : APEC, 2015).

De nombreux métiers et compétences en tension

Dans beaucoup d’entreprises rencontrées, il existe des tensions sur certains métiers et sur certaines compétences.

De manière générale, les postes de cadres ou d’ingénieurs dans la « maintenance » sont particulièrement touchés par les difficultés de recrutement, tandis qu’il y a plutôt moins de problèmes de recrutements dans la fonction qualité.

Il existe une hétérogénéité importante dans les déterminants des tensions éprouvées par les entreprises rencontrées :

– La taille de l’entreprise (par exemple, les PME connaissent souvent plus de difficultés à recruter que les plus grandes entreprises).

– Le positionnement de l’entreprise dans la chaîne de production (dans l’automobile, les donneurs d’ordre bénéficient d’une attractivité forte par rapport à un équipementier de rang 1 et connaissent moins de difficultés de recrutement, par exemple).

– Le contexte sectoriel et/ou de l’entreprise (ainsi, l’image de l’automobile reste marquée par la crise de la fin des années 2000 ; les scandales récents, par exemple, dans l’agroalimentaire ne favorisent pas l’attractivité des entreprises de ce secteur).

Les tensions des uns peuvent, pour partie, être créées ou renforcées par les pratiques commerciales et de recrutement des autres. Par ailleurs, les sollicitations extérieures (par exemple par des cabinets de recrutement) des ingénieurs en poste, le recrutement de prestataires en mission pour le donneur d’ordre (s’apparentant assez couramment à un pré-recrutement) pèsent ainsi fortement sur certaines entreprises. Enfin, la volonté des donneurs d’ordre de proposer des conditions compétitives en comprimant les prix semble assez généralisée (un exemple ici) et peut limiter significativement la capacité des sous-traitants à recruter.

En ce qui concerne les compétences très demandées (et souvent en tension), on en perçoit en particulier deux grands types :

– Les « compétences transversales » aux métiers et/ou aux secteurs qui relèvent soit de compétences non-cognitives ou « softs skills » (dont les compétences managériales), soit de compétences linguistiques, aptitudes servant à mener des équipes, gérer des projets, etc.

– Certaines compétences techniques associées à des métiers qui connaissent des difficultés de recrutement. En particulier, les recherches des recruteurs portent alors sur des profils de «spécialistes» (expertise technique), pouvant aller jusqu’à des profils industriels avec une expérience industrielle de premier plan (nombreuses années d’expérience dans une spécialité). Par exemple, la compétence en électronique de puissance est très recherchée pour les ingénieurs en électronique dans le secteur automobile.

Image dégradée, localisation des sites de production, conditions de travail difficiles et formation insuffisamment opérationnelle : une diversité de causes expliquant les tensions

Les principales causes pouvant expliquer les tensions existantes sont l’image négative des secteurs et des métiers de l’industrie, la localisation des sites industriels, les conditions de travail et, dans une moindre mesure, l’offre de formation :

– L’image des secteurs et des métiers (en particulier de la production) de l’industrie est négative. L’Agroalimentaire et la Mécanique-Métallurgie sont les secteurs les plus touchés par cette représentation défavorable, notamment car ils incorporent moins de nouvelles technologies dans leurs productions. Le manque d’attractivité provient également, pour partie, de certains scandales récents, mais aussi du manque de connaissance de ce que sont réellement le travail en usine et les métiers industriels, notamment sur les postes d’ingénieurs et de cadres.

– La localisation des sites industriels amène à la fois un manque d’attractivité et des problèmes de mobilité géographique. Les moyens de production sont en effet souvent situés sur des territoires ruraux et éloignés des lieux d’habitation. Cela peut être un frein sérieux pour les candidats potentiels, qui doivent accepter une mobilité géographique (ou, le cas échéant, une durée de transport conséquente) pour eux, mais aussi éventuellement pour leur famille.

– Les conditions (au sens large) de travail. Le travail de production amène souvent des horaires chargés et/ou décalés. Les conditions liées au cadre de travail (réelles ou supposées) jouent également sur l’attractivité des postes offerts. L’intérêt du travail de cadre en Production peut aussi compenser les éventuelles conditions « défavorables ». Par ailleurs, certains secteurs offrent de meilleures rémunérations que d’autres, tels l’aéronautique ou les industries pharmaceutiques et chimiques par rapport à l’agroalimentaire.

– L’offre de formation existante est jugée comme satisfaisante par les personnes interrogées, mais pouvant être améliorée pour répondre davantage aux besoins des entreprises. De ce point de vue, ce qui ressort le plus des entretiens effectués est la demande d’une plus grande opérationnalité, et un besoin accru en compétences transversales (notamment en termes de soft-skills : gestion de projet, etc.).

Changer les process de recrutement et améliorer l’image des métiers et des secteurs pour réduire les tensions

L’étude insiste sur quatre grands types de moyens mobilisés afin de réduire les tensions existantes : les politiques de ressources humaines (RH), la modification des canaux de recrutement, le développement de l’apprentissage, la valorisation de l’image des postes industriels de (cadres de) la Production à travers la communication.

– En termes de politiques RH, les entreprises ont notamment développé des actions de détection et gestion des talents, et ont recours à la mobilité interne, laquelle s’inscrit souvent dans des parcours d’élévation des compétences. Par exemple, les politiques de gestion de talents s’accompagnent de développement de filières « expertise » (technique) et « management » (pour de futurs hauts dirigeants de la société).

– On perçoit également une modification en profondeur des canaux de recrutement. Face aux difficultés de recrutement, les entreprises développent en effet la cooptation, le recours aux cabinets de recrutement, mais également à des sociétés d’ingénierie, ou les outils du web et des réseaux sociaux qui sont souvent plébiscités par les entreprises comme par les candidats à un emploi.

– L’apprentissage est considéré comme très important pour une majorité d’acteurs rencontrés, mais ces derniers le trouvent insuffisamment développé, et regrettent qu’il le soit moins pour le niveau « cadres » que pour les techniciens et ouvriers. qi. L’apprentissage permet aux entreprises de se constituer un vivier de jeunes en vue de futurs recrutements, et de renforcer leurs liens avec les établissements de formation.

– Les acteurs rencontrés, que ce soit les observatoires de branche, les entreprises ou même les écoles, cherchent souvent à améliorer, à travers la communication, l’image de leur secteur et de ses métiers. Cela se révèle particulièrement important pour les entreprises les moins connues des candidats, notamment celles qui ont des positions de sous-traitants (sans lien direct avec le consommateur final). La communication passe par la participation à des forums et salons, mais aussi par une visibilité accrue sur les réseaux sociaux. Les entretiens réalisés avec les étudiants montrent que la Production, qui souffre assez souvent d’une image dégradée, peut tirer bénéfice d’enseignements sur la Production industrielle et/ou de stage dans la fonction. Les étudiants ingénieurs qui l’ont découverte à travers une première expérience de terrain, ont une image différente de la Production et témoignent de manière forte de l’intérêt du métier.


Eva Barachino, Jérôme Didry, Nicolas Fleury, Florine martin