Les banques mutualistes à la recherche d’un nouveau modèle au sein de l’Union bancaire européenne

Le système bancaire français : vers un modèle original et cohérent ?

Historiquement, le système bancaire français s’inscrit dans le modèle continental de la banque universelle et dans l’opposition traditionnelle entre banques privées, opérant sur l’ensemble du territoire national, mais surtout concentrées dans les centres urbains, et banques mutualistes, opérant sur des bases régionales. Ce système est relativement solide, comme l’ont montré les résultats des banques françaises aux stress tests européens de 2013-2014.

En France, les six principales banques, aussi différents que soient leurs histoires et leurs statuts, sont aujourd’hui très semblables. L’opposition originelle entre banques commerciales et mutualistes s’est largement affaiblie à mesure que ces dernières grandissaient et se fédéraient à l’échelle régionale, interrégionale et nationale, le niveau de décision s’est éloigné des sociétaires, qui ne sont désormais représentés aux échelons supérieurs que de manière très indirecte. En outre, parmi les trois grands groupes mutualistes français (BPCE, Crédit Agricole et Crédit Mutuel), les deux premiers se sont dotés d’une holding sous la forme d’une Société Anonyme cotée, ce qui a rendu illusoire le maintien du principe mutualiste « un sociétaire, une voix ». Les grandes banques nationales, comme la BNP ou la Société Générale, possèdent des réseaux de banques régionales qui ont été intégrés à l’offre du groupe, tandis que les banques dites régionales ont acquis des banques actives sur tout le territoire national, comme le CIC pour le Crédit Mutuel, ou LCL pour le Crédit Agricole. On semble donc bien assister à l’émergence d’un modèle français original et assez homogène qui repose sur deux piliers : une banque nationale et des banques régionales. Une différence demeure cependant entre banques commerciales et mutualistes du fait que ces groupes n’ont toujours pas réalisé leur unification, et continuent à être caractérisés par une structure pyramidale inversée contrôlée par des caisses régionales juridiquement autonomes.

Ce modèle manque toutefois de cohérence dans le cas des réseaux mutualistes car ces deux piliers se font concurrence. Dans les groupes dominés par une banque nationale, les pertes d’un des piliers sont compensées par les gains de l’autre au niveau du groupe. En revanche, dans les réseaux mutualistes, cette concurrence rompt les équilibres entre les fédérations. Deux tendances s’opposent alors : d’un côté, les organes centraux poussent dans le sens d’un renforcement de leurs prérogatives que le législateur et le superviseur européen appellent de leurs vœux ; de l’autre, certaines caisses régionales prônent le renforcement de la pyramide inversée et de leur contrôle sur leur holding, ce qui nécessiterait un statut particulier dans le cadre de l’union bancaire.

Fusionner pour mutualiser les risques : la question de la stabilité financière au sein de l’Union bancaire européenne ?

Des problèmes structurels de gouvernance perdurent dans les réseaux mutualistes. Selon l’argumentaire du superviseur européen, l’intégration verticale sur le modèle des groupes commerciaux devrait les limiter. Les banques ou les caisses régionales autonomes dépendant d’un seul marché seraient en effet plus exposées au risque qu’une grande banque présente sur une multitude de marchés. Plus le nombre de marchés serait grand, moins la corrélation de ceux-ci est probable, et plus le risque qu’un événement de crédit affecte la banque serait faible.

De ce point de vue, la structure du Crédit Mutuel apparaît incohérente. Le CIC, qui représente un tiers des activités du groupe, appartient à l’une des caisses régionales, celle de Strasbourg, ce qui lui permet d’asseoir sa domination sur les onze caisses régionales composant sa caisse fédérale et, in fine, sur le groupe tout entier.

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Figure 1 – Gouvernance simplifiée du Groupe Crédit Mutuel

Face à cette concurrence frontale sur son espace, le Crédit Mutuel Arkéa a développé une stratégie similaire en acquérant des banques actives sur tout le territoire, la seule différence étant que là où sa rivale de l’Est a acquis une banque de détail classique avec le CIC, Arkéa le fait par des banques en ligne comme Fortuneo ou, récemment, Keytrade. Arkéa se dote également de filiales nationales. Cette stratégie semble montrer qu’il n’y a pas de place en France pour un groupe purement régional.

Quoi qu’il en soit, à périmètre du groupe constant, une réorganisation apparaît nécessaire pour permettre au groupe Crédit Mutuel et éventuellement Arkéa si celui-ci devait sortir de la Confédération de compenser les pertes d’une branche ou d’une caisse régionale par les gains d’une autre. Cela exige une intégration de l’ensemble des activités et une modification du rôle de la Confédération nationale : celle-ci devrait devenir la tête du groupe alors qu’elle s’apparente plus à son parlement où discute l’ensemble des caisses. Et si Arkéa venait à sortir, on aurait deux groupes cohérents, avec à la tête de chacun une entité capable de mutualiser les risques sans devoir négocier avec chacune des caisses affiliées jusqu’à ce qu’un consensus soit trouvé. En outre, il existe des synergies possibles en unifiant les deux services informatiques des deux grandes confédérations et les nombreux doublons qu’ils possèdent.

Le Crédit Mutuel semble représenter un cas d’école pour le discours selon lequel l’intégration permettrait de diminuer le risque grâce à la multitude d’activités du groupe tout en augmentant sa rentabilité. Néanmoins, du fait de la domination de la Caisse Centre-Est-Europe, le Crédit Mutuel Arkéa vit les propositions d’intégration verticale comme une « OPA inamicale » et craint qu’elle ne se fasse à son détriment.

Le coût de l’éloignement organisationnel des banques centralisées : reporter les risques financiers sur les entreprises et les territoires excentrés ?

L’intégration du Crédit Mutuel semble tomber sous le sens, surtout que la scission proposée par Arkéa ne serait pas sans risque. Non seulement ni ses sociétaires ni ses salariés ne désirent perdre la marque Crédit Mutuel, mais, en plus, la solidité du nouveau groupe Arkéa serait bien moindre. C’est ce que reflète la perspective négative que Moody’s a attribuée à la note d’Arkéa, estimant que son bon Aa3 était en partie dû à un devoir de solidarité du reste du Groupe. Même si les indicateurs d’Arkéa, comme son taux d’intermédiation (le volume de crédits par rapport aux dépôts), ne sont pas moins bons que ceux du groupe dans son ensemble, Moody’s considère en outre que le périmètre du groupe rend moins probable un événement de crédit à même de le menacer. Au contraire, le CMA ne pourrait pas compenser par sa diversification géographique une crise qui affecterait son marché, ce qui rejoint l’argumentation de la BCE et de Bercy.

Cependant, si les avantages de la centralisation apparaissent évidents en termes de contrôle et de résilience du système bancaire à un événement de crédit local, ses effets face à une crise financière globale comme celle de 2009 sont plus ambigus. De nombreuses études montrent le rôle de transmission de banques multi-marchés. C’est là le revers de la médaille de la diversification. D’un côté, elle offre des ressources face à un choc local, mais de l’autre, il est lissé sur l’ensemble des territoires, si bien que, s’il est important, il se répercute sur des territoires qui en étaient épargnés. Selon une étude de la Banque de France, les grandes banques multi-marchés auraient plus fortement répercuté sur les entreprises le choc de la crise de 2009. Cet effet est d’autant plus marqué que les banques régionales sont restreintes à une zone réduite autour de leur siège. Concrètement, cela signifie que toutes choses égales par ailleurs / qu’à entreprise identique en termes de secteur, d’âge, de dynamisme, etc., l’offre de crédits d’Arkéa a moins fléchi que celle du Crédit Mutuel-CIC, qui elle-même a moins diminué que celle de banques nationales comme la BNP.

Les résultats de cette étude confirment ceux obtenus en Italie ou aux États-Unis. En outre, les banques multi-marché connaissent un biais domestique important. Cette notion est souvent employée pour les banques étrangères qui ont tendance à répercuter plus fortement les effets d’une crise sur les marchés distants, même si ceux-ci sont aussi dynamiques que leur marché national, voire même davantage. Ces études montrent que le fléchissement du crédit aux entreprises est bien moindre dans les territoires abritant les sièges des banques qu’il ne devrait l’être compte tenu de leur seul dynamisme, c’est-à-dire qu’à dynamisme constant, les départements les plus éloignés des sièges bancaires ont connu une baisse du crédit plus importante. En cas d’intégration verticale des réseaux de banques régionales, il y a un risque qu’un nombre plus grand de territoires dynamiques subissent des chocs importants en cas de crise.

Si la centralisation bancaire peut éventuellement renforcer la stabilité systémique du système financier, il est aussi possible qu’elle favorise la transmission des grandes crises, et affaiblisse l’économie réelle des territoires excentrés lors de tels événements. Par ailleurs, un tel mouvement d’intégration permettrait certes de substantielles économies en supprimant des doublons, mais priverait des pans entiers du territoire de milliers de cadres. Dans le cas de la Bretagne, où la situation est bien documentée vu les débats autour d’Arkéa, ce dernier représente 9 000 emplois parmi les 16 000 du secteur, et l’on estime que la suppression des doublons, notamment du stratégique service informatique, représenterait une perte de 4 000 emplois, dont 2 000 au seul siège de Brest, soit 60% des effectifs d’Arkéa et 25% du secteur bancaire dans la région, alors même qu’Arkéa a représenté 60% des embauches du secteur depuis 2010 (3 000 embauches sur les 5 000 dans la région). Cela laisse entrevoir le potentiel destructeur de la rationalisation des services du Crédit Agricole qui doivent désormais être assurés par le Crédit Agricole S.A. pour les caisses régionales.


Kevin Guillas-Cavan