Développement économique : de la primauté régionale à la mobilisation des territoires pertinents

Au-delà de la question du leadership, un fort besoin de coopération entre régions et métropoles

La loi a tout d’abord instauré la prescriptivité des Schémas Régionaux de Développement Economique, d’Innovation et d’Internationalisation des entreprises (SRDE2I), qui structurent l’ensemble des aides au tissu économique. Elle a donné à la région l’exclusivité des aides directes, et la maîtrise de l’essentiel des fonds européens (auparavant aux mains de l’Etat). Le leadership régional admet toutefois une entorse, avec le droit reconnu aux métropoles d’exercer conjointement cette compétence économique, sur leur territoire. L’articulation entre métropoles et régions est donc au cœur de cette nouvelle architecture.

La loi postule l’échelon régional comme périmètre pertinent pour la stratégie économique. Des régions élargies développeraient et diffuseraient plus puissamment les effets d’entraînement des principaux moteurs de développement que sont les pôles de compétitivité, filières d’avenir, universités et établissements d’enseignement supérieur, centres de recherche, etc.

A cette capacité de projection stratégique régionale, la loi adjoint le pouvoir d’agglomération des métropoles : concentration de moyens humains à fortes qualifications, effets de fertilisation liés à la proximité et à la réunion de compétences complémentaires.

Le couple région – métropole : une primauté contestable

Les travaux du CEPREMAP sur les pôles de compétitivité confirment, mais relativisent, l’intérêt de la centralisation d’activités sur un territoire. Les gains réels de compétitivité ne seraient atteints qu’au prix d’une concentration très forte des facteurs : « pour augmenter la productivité des entreprises concernées d’environ 5 %, il faut doubler le niveau de spécialisation dans une activité et une zone données ».

Or la concentration d’actifs a un coût induit : surcoût de la concentration urbaine, dévitalisation ou appauvrissement marqué d’autres territoires limitrophes, dans un contexte où les inégalités territoriales sont appelées à repartir à la hausse (cf. Laurent Davezies, La crise qui vient). D’autre part, ces effets de diffusion entraînent aussi des coûts de coordination, qui, à partir d’une certaine taille régionale, augmentent exponentiellement, au point d’en annuler les bénéfices. Plus généralement, le doute existe sur l’influence réelle des politiques publiques sur les décisions d’entreprises, doute renforcé par la minceur des budgets alloués au développement économique local (pour plus de précisions, voir La revue de l’OFCE n° 143, 2015).

Le couple région – métropole ne peut pas tout

Au-delà de ces controverses, l’exercice des compétences régionales ou métropolitaines trouvera rapidement ses limites, s’il ne se dote pas d’autres relais pour l’action. La première limite vient de la maîtrise du foncier et de l’immobilier par le bloc intercommunal, qui imposera donc un important enjeu de coopération entre les régions et métropoles, et les autres échelons territoriaux. Cette dualité est conforme aux besoins des entreprises, tels que mis en évidence dans nos travaux sur les localisations d’activités industrielles, réalisés pour le Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques (PIPAME).

Plus que d’aides financières, les projets d’entreprises ont besoin d’appui conseil, d’interlocution centralisée, de réduction des délais et de réactivité. Les entreprises attendent également de s’immerger dans un « écosystème créatif et productif » (fournisseurs, clients, partenaires pour la R&D), mixant services et industrie, sur une base locale essentiellement (voir Note du CAE n° 13, juin 2014). Seuls des acteurs proches des bassins de vie et d’emploi sont à même de procurer ces appuis, conseils, services mutualisés et accompagnements opérationnels, en mode projet, avec réactivité ; et d’assurer cette connectivité au quotidien.

En première conclusion, il subsiste un fort besoin de coopération entre les acteurs pertinents pour la projection stratégique et l’animation de démarches d’ensemble : les régions, en lien étroit avec les métropoles, et des acteurs de proximité et de services, en charge de l’action quotidienne sur les territoires. A charge donc pour les collectivités territoriales, à travers les Conférences Territoriales de l’Action Publique (CTAP, qui se tiendront courant 2016), de rationaliser leurs dispositifs locaux.

L’hétérogénéité fondamentale des situations infrarégionales

Encore faut-il identifier les territoires pertinents pour l’action. Or les territoires infrarégionaux varient très fortement selon les régions. Parfois, une ou plusieurs métropoles structurent un puissant espace d’initiatives et d’attractivité, avec effets d’entraînement sur les espaces limitrophes. Nos travaux déjà cités sur les critères de localisation des investissements ont illustré la puissance de ce modèle, dès lors qu’une connexion active relie étroitement un espace riche en fonctions créatives et cognitives, et son « hinterland » fort en savoir-faire productifs spécialisés.

Mais cette connectivité doit s’organiser et s’animer, de façon méthodique et volontariste. Sans quoi, une métropole peut fonctionner comme un aspirateur à talents asséchant ses territoires limitrophes. Elles concentrent ainsi l’essentiel de l’emploi des cadres, et des nouvelles offres d’emploi les concernant (voir l’étude de l’APEC sur la répartition territoriale de l’emploi des cadres). Amener les métropoles à structurer et mettre en tension tout leur espace régional (comme Montpellier et Toulouse ont décidé de s’y engager), reste un objectif nécessaire.

A contrario, dans plusieurs régions, il n’existe pas de métropole. D’autres modèles doivent donc prendre le relais. Certaines agglomérations forment des bassins de compétences économiques où s’organisent l’emploi, les flux de travail et de capitaux, et plus largement la vie, les loisirs, le tourisme et la culture, etc. Le mouvement en cours d’élargissement et de regroupement des intercommunalités donne l’occasion de mieux adapter la carte institutionnelle aux réalités socioéconomiques.

Il existe aussi des réseaux d’agglomérations, matérialisés par d’intenses flux de travail et d’échanges économiques, assurant une circulation de compétences et de relations créatrices de richesses.

  Enfin, s’affirment des espaces essentiellement ruraux, dont les caractéristiques (prégnance des TPE, dominance de l’économie vivrière et dérivée de l’agriculture, problématique des circuits courts et de la mobilisation des compétences des néoruraux, etc.) appellent des formes d’organisation et de mobilisation spécifiques. Il semble judicieux de mettre à profit l’élaboration des SRDE2I pour faire émerger la notion (infrarégionale) de territoires pertinents, et identifier pour chacun l’organisme capable d’en animer la dynamique. L’éclatement fréquemment constaté entre les chambres de commerce et d’industrie (CCI), les agences de développement et les sociétés d’économie mixte (SEM) de gestion ou d’aménagement, devra être revu à cette occasion. Ainsi, redéfinition des rôles des outils infrarégionaux et réorganisation de leurs compétences iront de pair avec l’expression des axes de développement régionaux, et leurs traductions territoriales, au service des besoins concrets et constants des entreprises.

Pluralité des territoires, intensité des connexions

Aucun territoire ne réunit à lui seul toutes les aménités et toutes les compétences dont il a besoin. Métropoles, agglomérations ou réseaux de villes, espaces ruraux, doivent intensifier leurs coopérations internes, et conjointement entrer en connexion active avec leurs territoires complémentaires. Les territoires pertinents pour l’action, ce sont ces espaces de connexions, à même de porter un projet de développement mobilisant ces « effets locaux » de développement (cf. l’étude de Nadine Levratto et Denis Carré) qu’il s’agit d’optimiser.

La coopération entre les acteurs doit faire vivre cette connectivité des territoires, condition de succès de l’économie contemporaine. Pour cela, elle doit rechercher les bons effets de taille critique, et de proximité. Elle doit aussi articuler au mieux logiques de développement extraverti (économie exportatrice, insérée dans l’économie mondialisée) et logiques d’économie présentielle (cf. SRDE Languedoc-Roussillon, Sémaphores, 20/12/2013). L’entrée des acteurs économiques et sociaux dans le paradigme contemporain de l’économie de la connaissance, des niches mondiales de spécialités, et des écosystèmes créatifs et productifs, est à ce prix.

Alain Petitjean