Un territoire sans chômeur de longue durée ?

Un projet ancien initié par ATD Quart Monde

Le souhait d’expérimenter le dispositif « Territoire Zéro Chômeur », qui permet de proposer un CDI à tous les chômeurs de longue durée, via une réallocation des dépenses liées au chômage, s’inscrit dans un contexte où le chômage de longue durée explose et devient structurel. Il est important de lutter contre ce phénomène, en raison de son coût social important (cf. infra), et des graves conséquences pour ceux qui ont à le subir (dépréciation et perte de compétences, pauvreté, etc.). L’expérimentation du projet « Territoire Zéro Chômeur » est porté depuis longtemps par ATD Quart Monde (documentation de l’association). Ce dispositif, après une première tentative de mise en place à Seiches-sur-le-Loir en 1994 (voir encadré ci-dessous), fait aujourd’hui l’objet d’une proposition de loi, déposée le 22 juillet 2015 par plusieurs députés PS, qui sera examinée à l’Assemblée Nationale le 9 décembre. Il s’agit de pouvoir expérimenter ce dispositif dans une dizaine de territoires (les modalités de sélection des territoires semblent encore floues), pour, ensuite, si cela fonctionne, l’étendre, voire le généraliser.

Un territoire sans chômeur de longue durée ?

Un concept innovant à plusieurs titres

Le projet « Territoire Zéro Chômeur » paraît innovant à plusieurs égards. Tout d’abord, en proposant un CDI à chaque chômeur volontaire durablement privé d’emploi, il ambitionne d’éradiquer sur un territoire le chômage de longue durée. Le fait qu’il s’agisse d’un contrat en CDI, et non d’un CDD, comme dans le cas de contrat aidé ou de contrat d’insertion est particulièrement intéressant car il permet de supprimer la précarité avec le bornage dans le temps, parfois trop court pour certains individus. Néanmoins, il ne s’agit pas non plus d’enfermer les bénéficiaires dans ce type d’emploi. Ainsi, ils resteront inscrits à Pôle Emploi et seront disponibles afin d’occuper un emploi dit « traditionnel ». C’est pourquoi on parle de « CDI disponible ».

Une autre innovation vient de la mise en relation entre offre et demande d’emplois. Traditionnellement, les demandeurs d’emploi se positionnent sur des offres d’emploi émises par les entreprises. Dans ce projet, le mécanisme est inverse : il est envisagé de recenser d’abord l’ensemble des compétences de chaque individu souhaitant intégrer le dispositif, puis, en fonction de cette offre de compétences, des besoins seraient recherchés sur le territoire par les entreprises conventionnées. Afin de limiter le phénomène de concurrence avec des activités déjà existantes, ou qui pourraient être créées et générer de l’emploi « traditionnel », les tâches proposées devront concerner des activités jugées non rentables. Il s’agirait donc de création nette d’emplois.

Le mode de financement de ce projet constitue le dernier élément particulièrement innovant : il devrait être assuré par la réallocation des coûts liés au chômage et à la privation d’emploi. Le calcul est simple pour ATD Quart Monde : le coût social du chômage de longue durée pour la société s’élèverait à 30 milliards d’euros par an, soit 15 000 euros par demandeur d’emploi, en dépenses directes (indemnisation chômage, RSA, etc.) ou indirectes (coût lié au travail social, dépenses liées à la non-santé, aides sociales, etc.). Ainsi, le projet « Territoire Zéro Chômage » pourrait être financé à budget constant, simplement en réallouant ces dépenses. Ces sommes seront gérées par un fonds national, décliné sur les territoires en comités locaux. Ces derniers seront également chargés de conventionner les entreprises qui pourront proposer aux chômeurs de longue durée ce type d’emploi, ainsi que de valider les activités et emplois qui leur seront proposés. Avec ce mode de financement, la logique très actuelle d’activation des dépenses passives n’aura ainsi jamais aussi bien porté son nom.

Avis favorable du CESE mais …

Malgré un avis favorable, le CESE (Conseil économique, social et environnemental) a émis un certain nombre de recommandations concernant ce projet d’expérimentation. Premièrement, des doutes subsistent concernant l’autofinancement du dispositif. En effet, il semble que, juridiquement, la réallocation de certaines dépenses liées au chômage ne soit finalement pas si simple, notamment au niveau de l’assurance chômage. Ainsi, le CESE préconise de prévoir un financement spécifique, à inclure dans le projet de loi de finances.

Une autre préconisation concerne le ciblage du dispositif. Le projet prévoit que toutes les « personnes durablement privées d’emploi » seraient concernées. L’intérêt de considérer le halo du chômage serait de prendre en compte les chômeurs découragés qui ne s’inscrivent plus à Pôle Emploi. Mais le CESE préconise de réserver le dispositif aux demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi depuis plus d’un an, et qui ont épuisé leurs droits à l’assurance chômage, ou, qui n’ont pas cotisé assez pour pouvoir toucher des indemnités chômage. Le Conseil d’Etat, également saisi de cette question, a émis la même recommandation le 12 novembre.

Une autre recommandation du CESE (comme du Conseil d’Etat) concerne l’importance d’un accompagnement spécifique des demandeurs d’emploi bénéficiaires. Celui-ci viserait aussi bien le suivi dans l’emploi que la poursuite de la recherche d’un emploi dit traditionnel, y compris les périodes de formation. Or, actuellement, rien n’est prévu dans ce sens. Le CESE propose donc que les bénéficiaires continuent à être suivis par leur conseiller Pôle Emploi. Quant au Conseil d’Etat, il recommande plutôt un accompagnement direct par l’entreprise elle-même. Dans la mesure où ces individus seront en CDI, voire à temps complet, il nous semble nécessaire de repenser l’accompagnement proposé et de planifier, sur leur temps de travail, des moments dédiés à la recherche d’emploi.

Une dernière recommandation concerne l’évaluation de l’expérimentation de ce dispositif. Le CESE prône une évaluation, y compris territoriale, quantitative comme qualitative, avec des critères de performance et de résultat préétablis. Selon lui, cette évaluation devrait, de plus, être indépendante.

D’autres points à préciser

Malgré les avis déjà rendus, d’autres éléments nous semblent encore à préciser. Une question qui reste posée est celle du caractère lucratif des activités. Quel serait l’intérêt potentiel des entreprises à mettre en place des activités non lucratives ? Le dispositif ne risquerait-il pas d’être cantonné à des activités publiques ? Mais à l’inverse, si les activités sont lucratives, pourquoi ne pas privilégier des emplois traditionnels plutôt que ce type de contrat en « CDI disponible » ? Une autre interrogation a trait au prix des activités pour les personnes qui y auront recours. Seront-elles gratuites ou non ?

Un autre enjeu concerne les activités qui seront confiées aux chômeurs de longue durée volontaires. Il semble (et l’expérimentation déjà menée le montre) qu’il s’agisse essentiellement de tâches simples et variées ne nécessitant pas un niveau de qualification important. Cela pose donc la question du contenu du travail, avec le risque de sauter d’une tâche à l’autre, et du ciblage du dispositif. En effet, si tous les chômeurs de longue durée sont potentiellement concernés, les tâches proposées conduiraient à orienter ce dispositif plutôt vers des individus possédant un bas niveau de qualification. Dans le cas contraire, le risque est grand de dépréciation des compétences. Ce débat est à mettre en parallèle avec les sommes versées aux entreprises conventionnées et à la rémunération proposée aux salariés. Le fonds recevrait, de la part des organismes versant des allocations aux chômeurs, un transfert défini à partir du montant moyen des prestations dont le calcul reste à préciser, et non en fonction des réalités individuelles. L’entreprise conventionnée toucherait pour chaque emploi l’équivalent de 12 fois les SMIC mensuel brut (au prorata du temps de travail). Par conséquent, selon le projet de loi, la rémunération proposée aux salariés devrait être égale au SMIC. Néanmoins, le CESE préconise un déplafonnement afin de respecter le droit de la négociation collective. Ajoutons qu’il nous semble souhaitable que la rémunération proposée devrait être davantage fonction des qualifications requises pour le poste. La rémunération de travailleurs qualifiés à de telles conditions signifierait pour eux une dévalorisation de leurs compétences.

Une autre problématique tient au risque d’enfermement des bénéficiaires dans ce type d’emploi et à l’accompagnement qui leur est proposé afin de trouver un autre emploi. Compte-tenu du type de tâches proposées, essentiellement orientées vers le secteur public, ou non marchand, le risque d’enfermement des bénéficiaires dans ce type d’emplois est grand, ceci pouvant également générer un goulot d’étranglement : il pourrait être difficile de faire rentrer de nouveaux demandeurs d’emploi dans le dispositif, sans sortie de bénéficiaires vers un emploi traditionnel, sans multiplier pour autant les activités.


Florine Martin