La BCE prend de nouvelles mesures pour lutter contre la déflation
Le rachat d’actifs, une décision qui fait suite à une longue série de mesures non conventionnelles
Les objectifs de la politique monétaire de la BCE depuis le déclenchement de la crise ont été multiples. Dans un premier temps, elle a soutenu l’accès des banques aux liquidités en se substituant au marché interbancaire. Elle a œuvré à la détente de leurs conditions de financement afin d’enrayer le repli de l’offre de crédit, et permettre aux agents de la zone euro de continuer à avoir accès au crédit bancaire ainsi qu’au financement de marché à moindre coût. A l’heure actuelle, c’est le danger de la revalorisation des taux d’intérêt réels et des dettes privées et publiques par la dé(sin)flation qui impose à la BCE une action rapide.
Pour faire face à cette menace, et comme le pressentait la plupart des observateurs depuis plusieurs semaines, Mario Draghi a annoncé que l’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing, QE), c’est-à-dire l’augmentation du bilan de la BCE par l’achat de titres de dettes annoncé en septembre, comprendrait également des achats de dettes publiques.
Cette annonce apparaissait de plus en plus probable au fil des semaines. En effet, les interventions publiques des membres du directoire de la BCE avaient laissé entendre que le déclenchement du programme d’achat de titres publics était imminent, et que les dernières réflexions étaient d’ordre technique. Par ailleurs, la décision de la Cour de justice européenne de valider la conformité de l’OMT (Opération monétaire sur titre) mise en place en 2012 par la BCE mais qui n’a pas encore été activée, a ouvert la voie sur le plan juridique à un achat de titres de dettes publiques par l’institution monétaire. La semaine précédente, la décision de la Banque Nationale Suisse(BNS) de supprimer le taux plafond de 1,2 franc suisse (CHF) par Euro avait renforcé les anticipations des marchés sur un assouplissement à venir de la politique monétaire de la BCE. Suite à cette annonce soudaine de la BNS, le CHF s’est envolé pour atteindre rapidement la parité avec l’euro.
Par rapport aux doutes qui pouvaient exister il y a encore quelques mois sur le choix de la Banque centrale européenne de lancer un QE souverain, une série de facteurs a donné progressivement un caractère inéluctable à ce choix. Les précédentes mesures mises en place par la BCE se sont révélées insuffisantes pour soutenir la dynamique de l’activité et des prix. La baisse des taux directeurs (ainsi que du taux de rémunération des dépôts des banques auprès de la BCE, devenu négatif en juin) a fait baisser significativement le taux de refinancement interbancaire, sans parvenir à relancer les encours de crédits au secteur privé. De plus, les deux opérations de prêts ciblés à long terme (TLTRO), dont les taux ont été alignés ce jeudi sur les opérations principales de refinancement, ont eu un succès limité. Depuis la mise en place de ces mesures, la baisse des cours du pétrole (le baril de brent a atteint un creux à 45 dollars) a réduit les coûts d’achat des pays importateurs. Si cette baisse représente, toutes choses égales par ailleurs, un gain de pouvoir d’achat pour les consommateurs, elle alimente aussi les risques déflationnistes dans la zone euro.
Cette amplification du risque de déflation a rendu le plan d’achat de titres de dettes privées insuffisant pour infléchir la baisse des anticipations d’inflation. En achetant des titres publics, la BCE souhaite injecter de la monnaie directement dans l’économie et envoyer un signal fort sur sa détermination à renforcer l’activité et les prix.
Si l’annonce du « QE souverain » faisait donc de moins en moins de doutes, il restait plusieurs interrogations quant à la date de son déclenchement, aux montants injectés et à leur allocation, ainsi qu’à l’éventuel partage des risques entre les banques centrales nationales. Le programme de rachats d’actifs débutera en mars prochain, et durera jusqu’en septembre 2016, pour un montant mensuel de 60 milliards d’euros (soit 1140 milliards d’euros au total) répartis au prorata de la participation de chaque Etat dans le capital de la BCE. Le partage des risques (en cas de défaillance d’un emprunteur souverain) ne concernera que les actifs achetés par la BCE (soit 20% des montants, les 80% restants seront achetés par les banques centrales nationales de l’eurosystème). Enfin, Mario Draghi a annoncé que des plafonds de 30% de la dette publique et 25% par émission de chaque Etat ont été fixés. Cette disposition sur la « nationalisation » des risques souverains est comprise comme une concession aux dirigeants allemands. Ce n’est pas une disposition inoffensive : si elle devait être un jour activée, elle signifierait qu’un euro de dette publique d’un pays ne vaut pas un euro de la dette d’un autre, même si les deux dettes sont libellées dans la même monnaie.
L’euro poursuit sa chute, les taux souverains au plus bas
Depuis l’annonce en juin de la baisse des taux directeurs par la BCE, l’euro chute régulièrement. A partir de mi-décembre, date à laquelle l’euro se négociait autour de 1,25$, le renforcement des anticipations du QE souverain en zone euro a accéléré cette baisse de l’euro, qui est tombé à 1,16$ en début de semaine, juste avant les déclarations de Mario Draghi. Le bon comportement de l’économie américaine sur les derniers trimestres, la fin des achats d’actifs par la Réserve Fédérale, et le prochain relèvement de ses taux, ont participé aux flux massifs de vente d’euros contre des dollars et à la chute des taux de change de l’euro. Jeudi, la monnaie unique a chuté de près de 2% à 1,14$ suite à la conférence de presse de la BCE.
La baisse des prix du pétrole rend la baisse de l’euro particulièrement intéressante pour l’économie européenne. En effet, la dépréciation de la devise d’une économie importatrice d’un bien, comme l’énergie, dont la demande est peu élastique au prix conduit généralement à court terme à une dégradation de sa balance commerciale en augmentant la valeur des importations, jusqu’à ce que les gains de compétitivité-prix générés aient progressivement un effet stimulant sur le volume des exportations. En anesthésiant l’effet prix des importations, la baisse du prix du pétrole permettra à la zone euro de bénéficier d’une stimulation de ses exportations et de sa croissance en souffrant moins du renchérissement de ses importations.
Les taux souverains de la zone euro ont également baissé suite aux annonces de la Banque centrale européenne. C’est particulièrement le cas des pays périphériques ; l’écrasement des primes de risque a rapproché les taux italiens, espagnols et grecs (Mario Draghi a déclaré qu’il n’y aurait « pas d’exception pour la Grèce », malgré la notation dégradée de sa dette souveraine), des taux souverains du « cœur » de la zone euro.
Mario Draghi invite les dirigeants européens à prendre leurs responsabilités
Mario Draghi avait eu un discours très volontariste l’été dernier au séminaire des banquiers centraux de Jackson Hole. Son message avait été brouillé à la rentrée par les résistances au sein du directoire de la BCE sur l’idée d’aller plus loin dans les mesures non conventionnelles. Confrontés à une série d’évènements qui affectent la dynamique des prix dans la zone euro, dont la stabilité est l’objectif prioritaire du mandat de la BCE, les responsables de la politique monétaire européenne se sont résolus à suivre la voie interventionniste de leur président, qui n’a toutefois pas été validée à l’unanimité. Si Mario Draghi a bénéficié du concours des évènements pour déployer sa stratégie d’assouplissement, il a toutefois rappelé que la BCE ne détenait pas les clés de la croissance économique en Europe, qui ne peut être l’œuvre que d’une relance de l’investissement et de la poursuite de réformes structurelles renforçant cette croissance par les Etats membres.
Le passage à l’acte que vient d’effectuer la BCE est une condition nécessaire mais pas une condition suffisante de la reprise solide de l’activité en Europe. Si toutes les conditions n’étaient pas réunies, l’injection massive de liquidités pourrait même favoriser la réapparition de bulles financières. En chargeant son bilan de titres publics dont le rendement est désormais très faible, la BCE incite les investisseurs à rechercher des placements plus rentables. Pour que ceux-ci correspondent à des investissements réels et productifs, encore faut-il que l’ensemble des politiques publiques nationales et européennes accompagnent le mouvement.
Clément Bouillet