Former, un enjeu stratégique
“Une réforme de plus ? Une réforme de fond ?”
La table introductive réunissait Pascale Gérard, présidente de la commission formation de l’Association des Régions de France (ARF), Christian Janin et Florence Poivey, respectivement président et vice-présidente du Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation (COPANEF) ainsi que Emmanuelle Wargon, déléguée générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). L’enjeu de la discussion était de déterminer si, compte tenu de la multiplication des textes légiférant sur la formation professionnelle depuis une dizaine d’années (2002, 2004, 2009), la loi du 5 mars 2014 constitue une véritable rupture avec le système existant.
Pour l’ensemble des intervenants, le texte permet de remettre la formation continue en phase avec les enjeux économiques et institutionnels actuels. Ainsi, Pascale Gérard a-t-elle souligné que les régions, qui gèrent 90% de la formation des demandeurs d’emploi, trouvent désormais leur place dans la gouvernance du système de formation. Pour Emmanuelle Wargon, la suppression de l'”obligation de dépenser” – clef de voûte du financement de la formation jusque-là – va permettre de passer, au niveau des entreprises, à une “obligation de penser” la politique de formation et de l’appréhender désormais comme un investissement. Quant à Christian Janin, il considère que la réforme marque l’aboutissement d’un changement de paradigme engagé par l’Accord National Interprofessionnel (ANI) de 2009 sur la sécurisation des parcours professionnels. Selon lui, face à des systèmes économiques et sociaux qui ne fonctionnent plus, il faut une mutation permettant aux salariés de bouger sur le marché du travail en mobilisant leurs compétences ou en acquérant d’autres. C’est dans ce but que la loi du 5 mars 2014 prévoie toute une série d’outils qui se mettent progressivement en place.
Des outils qui se mettent en place
Au-delà de leurs thèmes respectifs, les tables rondes suivantes ont été l’occasion de porter un regard sur la mise en place des premiers outils instaurés par la loi du 5 mars 2014. Le plus visible d’entre eux est sans nul doute, le site Internet de gestion du compte personnel de formation (CPF) a été mis en ligne à la mi-novembre et sera opérationnel au 1er janvier 2015. À compter de cette date, tous les actifs pourront accéder à leur “espace personnel” pour se renseigner sur leurs droits acquis et les gérer. Cette matérialisation du CPF est importante : un échec technique pourrait être lourd de conséquences pour la réforme elle-même.
Autre étape clef de la réforme, l’élaboration de la première version de la liste nationale interprofessionnelle des formations accessibles par le CPF. En effet, le CPF est destiné à financer des formations obligatoirement qualifiantes permettant d’acquérir des compétences correspondant, selon les termes de l’ANI du 14 décembre 2013“aux besoins de l’économie prévisibles, à court ou moyen terme“. Celles-ci doivent figurer sur des listes élaborées soit au niveau interprofessionnel par les partenaires sociaux qui ont négocié l’accord, soit par les branches professionnelles ou soit par les Régions. Pour ces deux derniers types de liste, la procédure d’habilitation doit être diffusée sous peu. Comme l’avait souligné auparavant Christian Janin, l’élaboration de ces listes est fastidieuse car les outils disponibles, et notamment le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), ne sont pas directement exploitables pour ce type d’analyse : il faut croiser les milliers de métiers avec les flux de formation pour ensuite décider ou non de leur inscription sur les listes. Pour l’ensemble des intervenants, ce travail d’élaboration des listes nationales, de branches et régionales demeure un “work in progress” qui se prolongera au-delà de l’échéance du 1er janvier 2015. Emmanuelle Wargon voit dans ce travail une opportunité pour analyser ce qu’il y a dans le RNCP et surtout ce qui n’y est pas, notamment en termes de flux vers les formations recensées. Pour la déléguée générale à l’emploi et à la formation professionnelle, la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP) qui instruit les demandes d’enregistrement au RNCP pourrait évoluer et, à terme, renseigner ce type d’information.
Enfin, le colloque a été l’occasion d’un rappel de l’installation imminente du Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle (CNEFOP) qui regroupe deux instances préexistantes : le CNE (Conseil national de l’emploi) et au CNFPTLV (Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie). Cette instance, qui permet donc d’articuler emploi et formation, réunit en son sein l’ensemble des parties prenantes à ces politiques (Etat, régions, partenaires sociaux, opérateurs de l’emploi et de la formation). Comme l’a rappelé Jean-Marie Marx, Grand Témoin du colloque, le CNEFOP est une façon d’institutionnaliser l’approche quadripartite qui avait été initiée en 2008 avec le Groupe de travail dirigé par Pierre Ferracci et dont l’objet était de proposer un premier cadrage en amont de la négociation par les partenaires sociaux de l’ANI. Le principe a été reconduit sous la présidence du directeur de l’Apec tout au long de la négociation de l’ANI sur la formation de 2013.
Une responsabilité individuelle et collective de la formation
S’il a été largement rappelé qu’un des enjeux du CPF est de responsabiliser les individus dans la gestion de leur parcours professionnel, la deuxième table ronde est venue rappeler à quel point, en matière de formation, responsabilités individuelle et collective demeurent étroitement liées.
Ainsi, Yves Barou, président de l’AFPA, a expliqué que si le CPF est destiné à obtenir une qualification, les 150 heures qui lui sont allouées au bout de 7 ans et demi sont insuffisantes. Selon lui, ce n’est possible que s’il y a abondement, ce qui suppose de la négociation et donc du collectif. De fait, la loi du 5 mars prévoit que les partenaires sociaux puissent négocier des accords d’entreprises afin d’abonder le CPF. Comme l’a rappelé Pascale Dartois, directrice générale du FAF-TT, l’enjeu du CPF est bien la conciliation entre le projet individuel et le projet de l’entreprise. Plusieurs intervenants ont ainsi souligné, au cours de l’après-midi, que le CPF n’est qu’une des formes d’accès à la formation. A l’instar du DIF, il sera vraisemblablement mobilisé dans le cadre d’une articulation avec d’autres dispositifs de formation.
Jean-Marie Marx a quant à lui affirmé sa conviction que la question de l’accès à la formation des salariés ne peut se résoudre que de manière collective, à travers la mobilisation des branches et de tous les acteurs dans des démarches d’anticipation des compétences; ce qui pose évidemment la question de la qualité du dialogue social à ce niveau. Yves Barou est revenu sur cette idée en soulignant que l’arrivée de la GPEC a permis d’avoir un effort de gestion prospective des métiers. Selon lui, l’entreprise a le devoir de dire ce qu’elle sait de l’avenir aux salariés pour leur éviter les impasses. Pour autant, si l’anticipation des compétences est jugée capitale par les intervenants, ceux-ci reconnaissent que la GPEC est encore loin d’être une réalité dans les entreprises de plus de 300 salariés.
A une échelle plus large, la mobilisation collective des acteurs au profit des démarches individuelles de formation passe par les observatoires de branches et les observatoires territoriaux qui travaillent sur l’évolution des métiers. Et Emmanuelle Wargon d’appeler de ses vœux un rapprochement des observatoires de branche et des observatoires régionaux. Mais, comme l’avait souligné au cours de la table introductive Pascale Gérard, le croisement des données sur l’emploi et la formation au niveau des territoires et des branches demeure l’arlésienne du système de formation professionnelle. C’est pourtant bien sur la base de ces outils collectifs que pourrontpleinement se déployer les nouveautés introduites par la réforme, et notamment le CPF.
Mathieu Malaquin