Redressement productif : quel rôle pour les territoires ?

Les relocalisations d’activités industrielles : un mouvement prometteur, inscrit dans la « respiration » de la mondialisation.

De manière générale, l’étude montre que les décisions de relocalisation sont le fait d’entreprises bien engagées dans la mondialisation. Elles ne procèdent pas d’un échec de ces entreprises, mais d’une nouvelle phase de leur internationalisation.

La mondialisation procède par « respirations » successives, chacune d’entre elles correspondant à une phase du cycle de vie des produits, et des technologies qui les soutiennent. Ce cycle de vie agrège les positionnements qualité – prix – coût de production (qui définissent la « chaîne de valeur » des produits), et les éléments de la « chaîne de réactivité » de l’entreprise.

Cette dernière notion se rapporte à la chaîne logistique des produits (délais d’ordonnancement, d’approvisionnement et de réassort ; contraintes de stock ; temps de réaction aux incidents) ; mais aussi à la capacité de développement de nouveaux produits, de services associés à la production (SAV, personnalisation, commandes spéciales, « sur mesure », etc…), de nouvelles offres commerciales.

Or l’économie contemporaine est pour une large part engagée dans une évolution de ses marchés, vers une économie de « variété ». Celle-ci s’éloigne de la recherche de la taille maximale des séries et mise sur la spécification croissante de la production, d’une part, son enrichissement en services associés, d’autre part.

L’innovation technologique vient modifier la composition des coûts de production (par exemple : l’automatisation abaisse la part du coût du travail dans le coût global). Elle introduit aussi de nouvelles caractéristiques : qualité et spécificité des matières premières, disponibilité de composants spéciaux, exigences de maintenance et de qualité d’environnement productif, possibilités de séries plus courtes, personnalisation de produits sur la ligne de production, etc…

Combinées, ces évolutions des marchés d’une part, des technologies d’autre part, inversent pour certaines productions le rapport entre leur « chaîne de valeur » (autrement dit : le positionnement qualité – prix des produits), et leur « chaîne de réactivité » (taille obligée des séries, conditions d’approvisionnement, rapidité de nouveaux développements, etc…).

Schématiquement, à positionnement prix-produits stable et constant (cas normal dans une économie de grandes séries), l’entreprise sera incitée à jouer sur la « chaîne de valeur », donc à rechercher des baisses de coûts de production directs, quitte à accepter un allongement de sa chaîne de réactivité (peu sollicitée par le faible renouvellement des produits). Le modèle de la délocalisation fonctionne en grande partie sur ce paradigme.

A contrario, vient un moment d’un marché où la variété des produits, l’accroissement de leur fréquence de renouvellement, leur personnalisation aux demandes finales des clients, minimisent la « chaîne de valeur » par rapport à la « chaîne de réactivité ». Produire en grande série devient un handicap fort, subir des longs délais d’ordonnancement et d’approvisionnement est pénalisant, ne pas pouvoir développer rapidement de nouvelles versions peut se révéler éliminatoire. Le modèle de la délocalisation est alors contesté, voire battu en brèche.

Localisation d’activités : les décisions d’investissement relèvent principalement de considérations micro-économiques.

Le débat sur les relocalisations (ou sur leur pendant : les délocalisations) insiste fréquemment sur les facteurs macroéconomiques : coût du travail, coût de l’énergie, parités monétaires, notamment. L’étude minore pourtant leur influence, au profit de trois considérants :

–        l’optimisation de l’appareil productif existant ;

–        les repositionnements dans la « chaîne de valeur » des marchés ;

–        la recherche d’un meilleur écosystème productif et créatif.

Tout d’abord, les réflexions d’optimisation de sites de production interrogent sur la qualité et la modernité des sites français. L’importance de la variable investissement dans l’industrie moderne est certainement sous-estimée. Un contexte favorable à un flux régulier d‘investissement, et à la maîtrise des « sauts technologiques », doit être recherché et entretenu. Des décisions de politique nationale peuvent y concourir, un climat favorable à l’investissement industriel peut être diffusé. Mais des considérations plus locales (capacités d’agrandissement d’un site, règlementations de leurs conditions d’exploitation) pèsent en la matière. Le plan « Usine du futur » sera un test majeur de la capacité à entretenir un tel climat, pour produire un sursaut objectivement nécessaire.

 Sur le repositionnement des gammes de produits, les effets d’environnement relaient également l’initiative propre des entreprises. La présence de pôles de compétitivité actifs, l’accélération des transferts de technologies, l’activation des brevets, participent de ce rôle facilitateur.

L’entreprise moderne est une « entreprise étendue », engagée dans des coopérations allant jusqu’au co-développement de produits, ou de prestations. La notion d’écosystème productif et créatif renvoie à l’ensemble des partenaires de l’entreprise, avec lesquelles elle engage ses développements : centres de recherche, designers, fabricants d’emballages ou de machines spéciales, laboratoires de mesure, fournisseurs exclusifs… C’est sur cet environnement, sur sa richesse et sa facilité de connexion, que l’action publique, notamment locale, peut porter.

Nouvelle économie productive : quelle action sur les territoires ?

L’apport des territoires au développement économique est passé par différentes phases. À l’heure de la mondialisation des échanges, la présence de matières premières, et d’une main d’œuvre abondante et banalisée, ne joue un rôle déterminant que dans un nombre mineur d’activités. De nombreuses matières premières peuvent être transformées loin de leur gisement, et l’abondance de travailleurs disponibles est criblée par leurs compétences et leurs aptitudes.

De même, le rôle des territoires a longtemps reposé sur des offres d’accès : accès à un bassin de consommation important, accès logistique par des infrastructures adaptées. Ces deux dimensions, si elles n’ont pas totalement disparu, sont grandement écornées par la qualité des infrastructures et la baisse des coûts de transports et déplacements, au plan mondial.

Les besoins de la nouvelle économie productive reposent sur une offre de compétences ; une offre de connexions ; une offre « d’accélération ».

L’offre de compétences s’entend essentiellement aujourd’hui comme offre de compétences spécialisées et complémentaires, relevant de disciplines d’enseignement différentes, mais s’insérant dans une même économie de filière. Il y a là un défi pour les territoires, partagé avec les principales branches industrielles, parce que concernant l’orientation de leur appareil de formation professionnelle, tant initiale que continue. Les enjeux de reconversion de main d’œuvre s’y agrègent bien naturellement, et l’on sait qu’ils sont mal appréhendés et sous-investis dans notre pays. Enfin, l’attractivité d’un territoire pour certaines populations de cadres et techniciens ne peut être éludée. Il s’agit d’un point fort reconnu pour la France, encore faut-il le concrétiser et le faire savoir.

L’offre de connexions exprime quant à elle une fonction nouvelle pour les territoires. Recevant une entreprise investisseuse, les acteurs territoriaux lui feront-elle rencontrer une palette assez riche d’interlocuteurs possibles pour ses futurs développements (pôles, clusters, associations…) ? Lui proposeront-ils une intégration dans un écosystème productif et créatif de qualité ?

À cette aune, l’intérêt des territoires est de moins en moins dans la compétition entre eux, mais dans leur connectivité. Le cœur de la nouvelle économie productive bat dans des territoires métropolitains : riches en services cognitifs et en nouvelle économie des services, bien irrigués en infrastructures et où se concentrent les centres de décision comme les têtes de réseaux coopératifs. Mais sa production se localise dans des sites de savoir-faire industriels spécifiques, riches en sous-traitants,  propices au développement industriel. La connexion étroite entre ces bassins industriels et ces territoires métropolitains définit un nouveau paradigme de connectivité des territoires, dont les contours doivent être approfondis d’urgence.

L’offre d’accélération, pour finir, mesure combien le temps est devenu le carburant essentiel de notre économie. L’action publique tout entière doit être tournée vers la facilitation et l’accélération des procédures, des étapes à franchir pour la réalisation d’un projet. Interlocuteurs uniques, gouvernance décisionnaire, alignement des conditionnalités, dessinent les grandes lignes d’un programme de simplification porteur d’efficience immédiate sur les décisions des industriels.

Au travail !

La France a un potentiel d’atouts non négligeable, à l’aune du développement de cette économie de variété, reposant sur des chaînes de réactivité resserrées, et sur la mobilisation d’un écosystème productif et créatif diversifié, connectant métropoles et hinterlands industriels.

Elle présente par contre certains handicaps, sur lesquels il va falloir agir : un appareil de production vieillissant ; un appareil de formation peu connecté aux besoins des filières, eux-mêmes mal définis ; une faiblesse de la GPEC dans les entreprises ainsi que des dispositifs de reconversion ; une trop grande déconnexion entre économie créative et économie productive ; enfin une gouvernance territoriale non décisionnaire, et peu tournée vers l’accélération.

Rien de tout cela n’est irrémédiable : voici donc un beau programme d’actions ! 


Alain Petitjean