Gel des pensions : coup de froid sur les petites retraites

Le projet de loi sur les retraites prévoit un report de l’indexation des retraites au 1er octobre de chaque année alors qu’elle a lieu traditionnellement le 1er avril. Concrètement, cela signifie un gel des pensions pendant six mois. Depuis plusieurs mois, le gouvernement avait annoncé que les retraités seraient mis à contribution. Deux types de mesures étaient envisagées : une désindexation des retraites (actuellement les pensions sont revalorisées chaque année selon l’inflation), voire leur gel, qui en est la forme la plus extrême ; et des mesures fiscales (augmentation de la CSG, révision des avantages familiaux, suppression de l’abattement de 10% pour les retraités).
Le gouvernement actuel a gardé pour la réforme du financement de la dépendance la piste de l’alignement du taux de CSG des retraités (6,6%) sur celui des actifs (7,5%), à laquelle sont favorables depuis plusieurs années la CFDT et le Medef. Il a renoncé à la suppression de l’abattement de 10% pour les retraités car cela aurait engendré une hausse supplémentaire de l’impôt sur le revenu (s’ajoutant à celle résultant du gel du barème) et rendu imposables des retraités jusqu’ici non redevables. La révision des avantages familiaux est actée, mais elle a été dissociée du reste de la réforme. Il restait alors la désindexation des retraites, laquelle pose inévitablement la question de la contribution en fonction du niveau de pension.

Les petites retraites finalement mises à contribution

Une mesure de désindexation est évoquée depuis le rapport de la Cour des comptes sur les perspectives des finances publiques de juillet 2012. Celle-ci préconisait de revaloriser les pensions, non plus en fonction de l’inflation, mais de l’inflation moins un point. Pour préserver les retraités les plus modestes, elle conseillait aux pouvoirs publics d’étudier la faisabilité technique et juridique d’une différenciation des revalorisations en fonction du niveau des pensions perçues. Une mesure de désindexation a d’abord été décidée dans les régimes complémentaires. La sanctuarisation de l’indexation des retraités les plus modestes était la condition indispensable posée par la CFDT pour accepter une désindexation. Mais l’accord du 13 mars 2013 entre le patronat et trois organisations syndicales (CFDT, FO, CFTC) a décidé que les pensions seraient revalorisées selon l’inflation moins un point en 2013, 2014 et 2015 pour tous les salariés. Dans la mesure où les retraités les plus modestes perçoivent l’essentiel de leur pension du régime de base (qui reste revalorisée selon l’inflation), cette désindexation a un effet relativement moins important sur leur pension totale. Elle crée par ailleurs une divergence entre les retraités du secteur public – dont la pension, versée par un seul régime, est revalorisée selon l’inflation – et le secteur privé.
La désindexation dans les régimes complémentaires a incontestablement renforcé une telle option pour les régimes de base dans le cadre de la réforme des retraites. Cet aspect a été souligné, en pleine négociation, par le ministre du budget d’alors, Jérôme Cahuzac, lors d’une interview. Dès lors que le patronat et une majorité de syndicats ont accepté une désindexation dans les régimes complémentaires, une opposition de leur part à une mesure de ce type dans les régimes de base aurait en effet manqué de cohérence.
Toutefois, le ministre du Travail a rappelé la préoccupation du gouvernement de préserver les petites retraites, comme ce fut le cas lors de l’instauration de la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (qui ne concerne que les retraités soumis à un taux de CSG de 6,6%) : « on parle de retraites inférieures à 1 400 euros, ce ne sont pas des grosses retraites. Je ne vois pas comment on pourrait diminuer le pouvoir d’achat de retraites qui vont de 700 à 1 400 euros. Il y a d’autres critères qui peuvent être utilisés et qui permettent de rétablir à moyen et long terme un régime des retraites stable » (iTélé, 14 mars 2013). Mais, en août, lorsque le Premier ministre présenta les grandes lignes de la réforme des retraites, il annonça un gel des pensions pendant six mois, sans autre précision. Les retraités percevant de faible pensions, mais aussi ceux bénéficiaires du minimum vieillesse (une allocation de solidarité indépendante de la durée d’activité), étaient donc concernés par cette mesure. Raté de communication ou logique gestionnaire visant à maximiser le gain financier d’une mesure qui permettrait d’économiser 1,6 milliard d’euros en 2020 ? Toujours est-il que sans précision supplémentaire, les faits conduisaient au constat suivant : l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), revalorisée de 25% durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, aurait été gelée pendant six mois sous la présidence de François Hollande… Quelques jours plus tard, la ministre des affaires sociales a indiqué que les bénéficiaires de l’Aspa ne seraient « évidemment » pas concernés. En revanche, les petites retraites n’échapperont pas au gel, contrairement aux propositions de la Commission Moreau, qui s’est efforcée de rechercher des mesures ne touchant pas les petites pensions.

L’impossible distinction selon le montant de retraite

En 2011, un retraité sur trois est polypensionné, c’est-à-dire qu’il perçoit plusieurs retraites de base. Par conséquent, la mise en œuvre d’une sous-indexation différenciée se heurte à des difficultés techniques : certains retraités perçoivent ainsi une faible pension de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, parce qu’ils ont travaillé peu de temps dans le secteur privé, mais une pension plus généreuse dans un autre régime de base.
À partir de là, deux modalités de différenciation d’une sous-indexation sont possibles :

  • Une différenciation selon le revenu fiscal des retraités. Ceux-ci acquittent des taux de CSG  différents selon leur revenu. Les retraités qui perçoivent l’Aspa ou l’allocation supplémentaire d’invalidité (Asi), ainsi que ceux non imposables dont les pensions ne dépassent le revenu maximal fixé pour bénéficier d’un allègement de leur taxe d’habitation, sont exonérés de CSG et de CRDS. Les retraités non imposables (percevant un revenu imposable inférieur à 11 947 euros pour une part de quotient familial) paient la CSG au taux de 3,8%. Ce taux réduit concerne 12% des retraités. Tous les autres retraités sont assujettis à la CSG, au taux de 6,6 %. En se basant sur les taux de CSG, la sous-indexation pourrait être différente selon que les pensions sont soumises ou non à la CSG, ou varier selon le taux de CSG applicable à la pension. Or le revenu fiscal des retraités peut être déterminé par d’autres éléments indépendants de la retraite (situation familiale, autres revenus), ce qui fragilise juridiquement cette logique. Par ailleurs, une sous-indexation différenciée selon les taux de CSG génèrerait des effets de seuil importants.
  • Une différenciation en fonction du niveau global des pensions. L’échange électronique inter régimes de retraite (EIRR) permettrait de calculer la pension tous régimes. Néanmoins, cette gestion serait complexe et nécessiterait des adaptations prenant du temps : définition commune des règles de gestion et ajustement des systèmes d’information des régimes. Or une mesure de sous-indexation vise à faire des économies immédiates, à moins qu’il ne s’agisse d’un changement durable des règles.

Finalement, l’objectif d’une sous-indexation des pensions mettait le gouvernement face au choix suivant : prendre un risque juridique, jugé toutefois limité par le rapport Moreau, en différenciant la sous-indexation selon les taux de CSG, ou inclure les petites pensions dans le champ de la mesure. Les députés socialistes penchaient pour la première possibilité. Le gouvernement leur a demandé d’y renoncer et d’accepter la seconde.


Antoine Rémond