L’arlésienne ou la réforme de la représentativité patronale
C’est ce qu’elles ont fait, timidement, en juin dernier en publiant une position commune aux trois organisations représentatives au plan interprofessionnel (Medef, CGPME et UPA). Mais l’avancée fut si ténue que le gouvernement, qui attendait une proposition de réforme complète et opérationnelle pour la 2ème conférence sociale des 20 et 21 juin 2013, a décidé de confier le dossier à son Directeur général du Travail, Jean-Denis Combrexelle, grand artisan de la réforme aboutie de la représentativité syndicale. Il est chargé, en concertation avec les organisations patronales, de présenter ses conclusions en octobre. Le gouvernement souhaite clore le sujet avant la fin de l’année, cette réforme constituant un préalable à sa volonté de constitutionnaliser le dialogue social.
L’option élective balayée
Si la position commune du 19 juin 2013 présente des lacunes, elle acte néanmoins un consensus des trois organisations patronales représentatives pour éliminer l’option consistant à fonder la mesure d’audience sur des élections.
Pourtant, la CGPME et l’USGERES (devenue UDES, Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, en juin 2013 suite à sa fusion avec le SYNEAS) avaient plaidé en leur temps pour cette solution en proposant en 2011 une mesure d’audience basée sur une élection nationale sur sigle (cf. proposition du 30 novembre 2011). Cette position n’aura pas manqué de provoquer des réactions houleuses jusque dans leurs rangs ; l’UIMM menaçant notamment de quitter la CGPME. Mais les organisations patronales semblent avoir dépassé leur querelle : il n’y aura pas d’élection pour déterminer la représentativité patronale, selon l’adage, ce qui est valable pour les organisations syndicales ne l’est pas forcément pour les organisations patronales.
Choisir le critère de l’adhésion au détriment de l’élection pour mesurer l’audience des organisations patronales est certes un premier compromis, mais il est loin d’épuiser les questions qui se posent quant à la réforme.
L’adhésion, un critère tout simplement complexe
L’idée d’une représentativité ascendante fondée sur l’adhésion des entreprises dans les branches et les territoires pour déterminer ensuite l’audience au niveau interprofessionnel est beaucoup moins simple qu’il n’y paraît. Outre le problème évident de transparence sur le nombre d’adhérents réels de chacune des organisations (les études de terrain menées entre 2009 et 2011 dans le cadre de l’appel à projet de la DARES sur les organisations d’employeurs en France ne rassurent pas sur ce point), plusieurs questions se posent :
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Les entreprises ignorent le plus souvent qu’elles sont indirectement adhérentes du Medef, de la CGPME ou de l’UPA. En effet, elles cotisent en général à un ou plusieurs syndicats professionnels, lesquels adhèrent ensuite à une fédération professionnelle et parfois à une structure territoriale, ces deux dernières adhérant ensuite à la confédération. Peut-on fonder la légitimité des organisations patronales confédérales sur des adhésions “inconscientes” ?
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La pratique d’adhésions multiples est fort répandue chez les organisations patronales. L’UIMM, par exemple, est adhérente à la fois du Medef et de la CGPME. Comment compter ces adhérents multiples pour mesurer le poids de chacune des organisations ?
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Toutes les adhésions se valent-elles ? Autrement dit, l’adhésion d’un artisan équivaut-elle à celle d’une multinationale ? Si chacun semble s’accorder pour répondre par la négative à cette question, le mode de pondération à adopter est loin de faire consensus.
Petite ou grande entreprise : qui compte le plus ?
Le nombre des entreprises adhérentes doit-il être pondéré par leur poids social (nombre de salariés employés) et/ou par leur poids économique (chiffre d’affaires ou valeur ajoutée) ? Voilà l’une des dissensions majeures entre organisations patronales.
Quand on sait que les 229 grandes entreprises françaises emploient à elles seules 31% des salariés (cf. Insee Première, avril 2013), mais que les PME représentent la quasi-totalité des entreprises de France, l’arbitrage à réaliser entre poids démographique, poids social et poids économique promet de longues discussions. Les grandes entreprises sont-elles plus légitimes pour gouverner les relations sociales ?
L’enjeu de l’équilibre des pouvoirs entre grandes et petites entreprises est aussi économique. Les organisations patronales trouvent leur fondement dans un but économique : organisation de la concurrence, production de normes techniques, etc. L’évolution de notre structure productive, notamment par l’extension du rapport donneurs d’ordre/sous-traitants, offre une résonnance particulière à la question du poids de chacun des acteurs et à leur capacité à s’entendre ou non dans l’organisation économique et sociale des conditions de production.
Le financement, l’enjeu inavouable
Au-delà des enjeux de production de norme économique et sociale, se cachent des questions plus prosaïques liées aux financements des organisations patronales. Nombre de mandats patronaux dans les instances paritaires donnent droit à des financements importants. Ceci explique l’attachement de certains à maintenir une forme de statu quo. Toutes les organisations patronales n’ont pas autant à craindre : si le Medef capte la plus grosse partie des subventions publiques au titre de la contribution aux organismes paritaires, c’est la CGPME qui semble le plus fragile à cet égard, ces subventions représentant la majeure partie de ses ressources.
Cela interroge plus largement la question du financement des acteurs sociaux (organisations syndicales et patronales) que le gouvernement a également mis à l’ordre du jour en proposant, lors de la dernière conférence sociale, d’engager une négociation tripartite sur ce thème.
Le législateur lèvera-t-il le voile sur l’arlésienne ? Réponse imminente…